« J’ai fait ma part et ce sont mes Carnets, mes Impressions ; voilà de quoi ne pas trop rougir… » On ne peut qu’opiner vigoureusement du chef. Tel un magicien du verbe, André Blanchard possède
« cette langue qui réveille les mots ». A mesure que les pages se tournent presque d’elles-mêmes, on sent la sympathie se muer en reconnaissance puis épouser la forme d’une amitié littéraire. On voit l’écrivain prendre corps à travers les mots de son journal. Bien que les années 2000-2002 paraissent maintenant lointaines, la pensée du diariste sait les rendre proches, vivantes et quasiment intemporelles. La lucidité du propos domine et on finit par adopter le point de vue de l’auteur car rien n’est imposé mais jaillit avec l’élan de la sincérité. André Blanchard, plume au poing, combat sans relâche le cliché littéraire et part en croisade pour le rétablissement du point-virgule et fustige, au passage, les impostures :
« Delerm, Bobin, Ernaux, Gavalda, entre autres, quel est leur public ? Des gens qui ne lisent pas, hé oui ! et ce n’est guère étonnant que ça en fasse beaucoup. C’est à quoi sert ce genre d’écrivain, être un alibi. » Plus généralement, à lutter contre les égoïsmes, les hypocrisies, le laxisme, la débauche de vulgarité, l’écrivain est bien parti pour embrocher des moulins à vent ! Il réussit le tour de force de rendre la trivialité du quotidien jubilatoire :
« …devoir se farcir un scanner jette un froid, il faut croire qu’on avait inventé ce mot avec comme seul souci qu’il rime avec cancer. Ajoutons que le patient porte bien son nom : il a tout le temps de gamberger puisqu’il faut deux mois d’attente pour le rendez-vous. » On peut encore lire quelques phrases après :
« …j’avais poussé la grille du cimetière, ce qui est toujours, quel que soit notre âge, manière d’aller en repérage. » L’humour se torsade comme un thyrse à la mélancolie. La mort du chat réveille des vieilles douleurs chez le lecteur :
« (4 mai 2001) Cela fait un mois que notre Grelin est mort. Je lui ai tellement dit durant vingt-trois ans « Tu me protèges, dis, d’accord ? » incantation à laquelle il semblait accéder d’un miaou très tendance, genre No problème, que, depuis qu’il est parti, je me sens à découvert. » Seul bémol mineur, la lecture est parfois heurtée car le dernier mot nécessite de reprendre toute la phrase afin d’en saisir pleinement le sens. Le principe est intéressant car le rejet est souvent un trait d’humour, jouant sur le double-sens mais la crainte est que cela vire au procédé, annihilant la fluidité de l’écriture et asséchant l’émotion :
« La littérature est une sécurité qui fait souvent ceinture ». Ce n’est heureusement pas le cas mais le risque subsiste. Enfin, l’auteur a bien fait de se creuser le citron quant à son journal intitulé d’abord
Mal de terre (accaparé entre temps par Hubert Reeves) afin d’émettre un nouveau jus bien plus délectable à travers le titre
Petites nuits. Quoi qu’il en soit, on se dit qu’il va falloir plonger dans les autres journaux afin d’en sortir tout en nage mais ragaillardi après avoir goûté un vrai bon bain de jouvence. Tout étonné d’être encore là, on peut entonner, avec le chouette et frais Blanchard :
« Vivre, c’est insister. »
----
[Recherchez la page de l'auteur de ce livre sur
Wikipedia]