Voici encore un livre bouleversant et fascinant ! « Le chemin des âmes » de Joseph Boyden raconte l’entrée en enfer, celui des tranchées de 14/18, de deux Indiens canadiens amis, Elijah Whiskeyjack et Xavier Bird ainsi que leur lente et inexorable désincarnation. Tireurs d’élite, ils se complètent lors de leurs déambulations nocturnes dans le no man’s land. Camouflés, terrés, l’un scrute le moindre mouvement dans les lignes ennemies, l’autre épaule, tire et souffle les vies avec son Mauser à lunette. Les ripostes pleuvent mais ils ne sont déjà plus là. Fins connaisseurs de la nature, chasseurs affûtés, ils sont des guerriers redoutables. Xavier Bird va devenir une ombre. On l’appelle X. Il se fait nommer Neveu. Il a beau réussir des exploits avec son fusil, son mutisme permanent, sa surdité par à-coups l’éclipsent au profit de son ami, loquace et fanfaron. Quant à Elijah, l’usage quotidien de la morphine, destinée à lutter contre la douleur, la migraine et la peur, en fait un squelette éthéré qui ne s’alimente quasiment plus. On franchit les cercles de l’enfer avec ces deux fantômes faucheurs, jusqu’à l’ultime boucherie. La résurrection viendra de la tante de Xavier, Niska. Le matatosowin, la hutte à sudation, va nettoyer l’âme de Neveu des horreurs accumulées : « Cette douleur que Neveu a portée en lui si longtemps, la voici qui s’échappe de son corps et tourbillonne entre les parois. Elle virevolte, crie, me griffe au sang, semble-t-il… Je veux que la chaleur la consume… Neveu se plie à terre, gémit, pleure, murmure… je ne suis pas sûre que son corps le supporte. » Joseph Boyden raconte, à travers son livre métaphysique, la mémoire des soldats amérindiens. Quand la mort accule les hommes à la plus extrême frayeur, tout au bord du précipice de la démence, de quelles ressources disposent-ils encore pour retrouver le chemin de leur âme ? Par la voix et le regard des Indiens, le lecteur perçoit le monde loin de ses repères habituels. Il accompagne Xavier qui a trouvé sa cible mais attend : une inspiration, une expiration bloquée à demi, le doigt sur la détente. Comme un conteur aguerri, sur le ton simple de l’évidence, l’auteur noue son histoire du début du roman jusqu’à la dernière phrase : « Demain, nous serons chez nous. » On sait alors qu’on se trouve en face d’un grand livre. "Mikwec" Monsieur Boyden !
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