[Paroles de poilus. Lettres et carnets du front 1914-1918 | Collectif]
Voilà un florilège que j'aurais dû lire avec un mouchoir pas loin et qu'il me paraît indispensable de lire pour tous : voilà des jeunes gens qui ont pu croire quelques mois à la noblesse de la mission de tuer, pas plus. La langue de bois patriotique s'éteint dès 1915 dans leurs lettres ; certains expliquent avec une amère lassitude à leurs parents ce qu'il en est, ne supportent plus le ton des journaux ni la seule pensée des stratèges confortablement assis sur leur guerre.
Très vite, ils se sentent plus proches du poilu allemand qui souffre dans la tranchée d'en face que de ceux qui les ont sacrifiés : est-ce que l'identité européenne n'est pas née du vol de jambes, entrailles, bras français et allemands mêlés, de ces courriers volés et traduits, lus à la cantonnade et où les soldats se sont fait la remarque : "Leurs lettres ressemblent aux nôtres" ?
Le style des lettres est, dans une majorité écrasante, superbe, qu'il soit fleuri ou laconique. L'amour le plus épuré, l'amertume la plus râpeuse, la résignation la plus pathétique se jettent à notre tête. J'avais l'impression d'avoir collé mon oreille à un immense tombeau. L'initiative de ce Librio est à saluer mille fois ; c'est la plus vraie des commémorations.
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