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[Les Fils d'Oreste ou la question du père | Christiane O...]
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apo



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Posté: Mer 05 Juin 2024 6:31
MessageSujet du message: [Les Fils d'Oreste ou la question du père | Christiane O...]
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[Les Fils d'Oreste ou la question du père | Christiane Olivier]

Cet essai qui remonte à 1994, à une époque où la garde alternée des enfants de couples divorcés était encore inhabituelle, est à plusieurs égards un pavé jeté dans la marre. Contestant la notion de patriarcat au profit d'un système « matricentré », il déplore l'évincement du père dans la mesure de l'élargissement irrésistible du rôle maternel et pose comme principal obstacle au surgissement du « nouveau père » le pouvoir incontesté que la plupart des femmes gardent sur l'enfant, spécifiquement dans les familles monoparentales mais généralement dans les familles « traditionnelles » (lire : hétérosexuelles sans doute, puisque les familles homosexuelles ne sont jamais mentionnées). Si cet évincement apparaît de la manière la plus marquée depuis « les lois féministes des années 70 » (sic!), l'autrice n'est cependant pas ouvertement antiféministe, à l'instar de nombreux psychanalystes réactionnaires, pour quatre raisons : 1. elle dénonce le sexisme d'une grande partie de la théorie psychanalytique sous forme de l'assignation des femmes à la maternité, dont le dernier avatar est la théorie lacanienne du « nom du père » qui fait dépendre la paternité de la désignation de la mère et ferait disparaître le père réel derrière un simple signifiant, un père symbolique ; 2. elle s'insurge contre un système misogyne construit par des hommes peu volontaires pour revendiquer leur fonction paternelle et les responsabilités afférentes, système s'étendant à la division genrée du travail et à toutes les entraves sociologiques à la réalisation de la femme en dehors de la maternité (et même dans la maternité, compte tenu des exigences de perfection qui lui sont désormais associées) ; 3. l'autrice pose l'hypothèse qu'une telle misogynie est le résultat d'une irrésolution de l’œdipe des hommes due à la prédominance de l'éducation des mères ; 4. elle fait remonter l'asymétrie entre le rôle paternel et maternel à une époque très antérieure au féminisme, ou à l'industrialisation, avant même la « révolution » de Rousseau, mais à la diffusion médiévale du christianisme, à cause du message évangélique lui-même.
La 'pars construens' de l'essai, c'est un appel à un rééquilibrage du rôle du père dès le moment même de la naissance de l'enfant, à la poursuite quotidienne des fonctions paternelles grâce à la revendication de l'aménagement du temps de travail – congés de paternité, critique du carriérisme masculin, réformes législatives et sociétales symétriques avec celles qui encouragent la maternité – et en somme à une égalité réelle entre les parents dans l'exercice de leur parentalité.
L'ouvrage se déroule en 7 chapitres. Le premier est historique, et il retrace l'érosion progressive de la fonction paternelle depuis le christianisme, avec peut-être une exception – tout à fait théorique et optative – pour « le père humaniste » dont l'implication préconisée dans l'éducation de l'enfant n'était toutefois que morale et cognitive. Le chap. II, « Mort du père mythique » se penche sur le sexisme contenu dans la théorie psychanalytique, de Freud jusqu'au début des années 1990. Le chap. III, « L'attachement » s'attelle à démonter toute l'importance de la la relation père-enfant dès la naissance, d'après les découvertes éthologiques (d'où le concept d'attachement est tiré à l'origine) et pédopsychologiques, ainsi qu'ontogénétiques sur le développement des sens du bébé, qui attestent chez lui une reconnaissance précoce de toute personne ayant été à proximité de la mère durant la grossesse. Le chap. IV, « Cher Œdipe... », traite le même sujet du point de vue psychanalytique, en montrant les problèmes qu'entraîne l'absence de la figure paternelle respectivement sur l’œdipe masculin et féminin. Le chap. V « Le père empêché » se penche (trop) brièvement sur les aspects sociologiques de cette absence, à la fois du point de vue de ses motifs et de ses conséquences. Le chap. VI, « La famille monoparentale ou les angoisses d'une "remère" » (jeu de mots suggérant l'absence de « repères ») insiste spécifiquement sur les conséquences néfastes de la monoparentalité (maternelle) respectivement sur les garçons et sur les filles. Enfin la chap. VII, « Pour une autre écologie de la famille » se pose en guise de résumé conclusif et contient les esquisses de propositions que nous avons dites.
J'ai été absolument passionné par les trois premiers chapitres de l'ouvrage, appréciant l'originalité du point de vue de l'autrice qui, tout en étant femme et psychanalyste, prend le parti d'une mise à distance par rapport au discours attendu. À partir du chap. IV, par contre, peut-être pour ne pas noyer le lecteur non spécialiste dans un excès de technicisme, j'ai trouvé les arguments trop faibles, insuffisamment étoffés, parfois exposés dans le désordre. Pourtant, l'idée que la misogynie et en général la violence du virilisme, dans ce qu'elle possède de transgressif et dans son aspect vaguement régressif, puissent être le résultat d'un œdipe masculin irrésolu, à mettre donc en relation avec la prédominance de l'éducation maternelle mériterait à elle seule une démonstration très complète. Les familles monoparentales, que l'on entendait au début des années 1990 presque exclusivement comme le résultat d'un divorce avec attribution de la garde des enfants mineurs à leur mère, sont portraiturées dans le chap. VI sous des traits tellement gros, voire caricaturaux, que j'ai eu l'impression de lire un texte inspiré par des préjugés réactionnaires (du genre « Manif' pour tous ») plutôt qu'une analyse sérieuse : sans doute manquait-il encore le recul et surtout un échantillon sociologique d'une suffisante envergure pour mettre en évidence la variété des typologies du phénomène et ne pas s'arrêter au stéréotype de la mère abandonnée, débordée et défaillante devant un fils adolescent qui ressemble trop à son père violent ou devant une fille qui se laisse entraîner par de mauvaises fréquentations... Le chap. VII était par contre sans doute original à l'époque, mais il a été amplement rattrapé par les temps.



Cit. :


1. « Mycènes-la-Rouge abrite en son sein une femme qui peut en bien des points être comparée à certaines mères d'aujourd'hui qui, mésestimant leur mari, oublient qu'ils sont pères et divorcent d'avec eux, obligeant leurs enfants à vivre sans eux, et parfois à partager le mépris et la haine de celui dont ils sont les fils et les filles, donc à s'autodévaluer en tant qu'enfants d'un tel père.
Oreste pose la question moderne : peut-on ne pas en vouloir inconsciemment à une mère qui renie ou ignore chez son enfant la part de celui qui l'a engendré ? Combien d'Orestes, combien d'Electres, aujourd'hui, reprochent à leur mère sa toute-puissance en face de l'inexistence du père, cachant au plus profond d'eux-mêmes une âme vengeresse ? Celle-ci les poussera à commettre des délits sociaux inexplicables, sinon par le besoin profond qu'ils éprouvent de se dresser contre le pouvoir qui leur apparaît comme injustice... Combien d'Hamlets restent cloués au sol, aimant tendrement celle qu'ils blâment pour le mal cruel qu'elle leur a fait en les privant de père...
Combien de pères ne savent pas si dans l'intérêt de l'enfant il faut obéir au désir maternel et à la loi, et rentrer discrètement dans l'ombre en essayant d'oublier ce morceau d'eux-mêmes abandonné à une femme (et peut-être à un autre homme), ou s'il faut s'élever contre cette loi inique qui donne immanquablement l'enfant à sa mère.
Que représente l'enfant pour une mère, qu'il ne représente pas pour un père ? Lequel se montre moins prêt à aménager sa vie en fonction d'un enfant que ne le fait la mère. » (pp. 8-9)

2. « […] les ordres religieux pullulaient et les vocations, avec ou sans l'accord des parents réels, ouvraient une voie pout tous ceux que leurs parents avaient trop peu aimés tout en ne cessant de faire leur devoir de parents... Jamais les communautés n'ont été aussi florissantes que durant le Moyen-Âge […]
Tous ces hommes et ces femmes prouvaient, à qui voulait l'entendre, qu'être fils ou fille de Dieu était une situation plus enviable qu'être enfant de ses propres parents et qu'avoir des frères et sœurs "dans le Seigneur" était plus réjouissant que d'avoir un frère ou une sœur selon la chair ; somme toute, l'enseignement du Christ concernant sa mère, ses frères et sœurs était devenu la règle de vie de bien des humains...
En clair, la pénétration du christianisme dans toutes les couches de la société avait entraîné une démission des pères réels en faveur d'un amour pour le Père du ciel, et chaque homme semblait chercher pour son propre enfant un meilleur "père" que lui. Et ce meilleur "père" n'était-il pas celui qui, à l'instar de Dieu, n'aimerait l'enfant que "selon l'esprit" ? » (pp.25-26)

3. « Rousseau leur rappelle que la fonction de mère prend une grande place dans la vie d'une femme et, à partir de _L'Emile_ (1762), beaucoup de femmes vont mettre toute leur fierté à nourrir et élever elles-mêmes l'enfant. C'est la première fois que la relation mère-enfant est valorisée, comme elle le sera de nouveau, quelque cent ans après, par Freud.
Rousseau n'est-il pas celui qui ouvre à une fonction du père "prescrite par la mère", comme le fera Lacan avec le "nom du père", et comme le fait actuellement la loi en donnant à la femme célibataire le droit de ne pas nommer le père ?
"La femme sert de liaison entre eux [les enfants] et leur père, elle seule les lui fait aimer et lui donne la confiance de les appeler siens" (op. cit., p. 470). L'homme sans la femme ne peut donc, pour Rousseau, reconnaître en l'enfant sa propre race et la suite de ses œuvres. C'est donner aux femmes un pouvoir psychologique dont, maintenant, beaucoup de "nouveaux pères" se plaignent... Les mères, inspirées par les écrits rousseauistes, soutenues ensuite par le discours médical puis psychanalytique, tiennent bien actuellement cette place où, seules, elles acceptent ou refusent de servir de liaison entre les enfants et le père. […] Si la révolution sociale n'est pas loin, la révolution familiale commence bien ici [...] » (p. 37)

4. « Quelle est la place du père dans ces terribles instants [de sa naissance pour le bébé] ? Celle qu'il a toujours eue du temps de la grossesse : la place de celui qui parle et qui appréhende de ses mains d'abord le fœtus à travers la paroi du ventre maternel et aujourd'hui le bébé de façon directe. Jeunes pères, prenez votre bébé dans vos mains, que ce soient les premières mains qui le saisissent et l'étonnent avant de le rassurer. Votre rôle est bien là : rassurer et porter dans l'air celui qui a été porté aquatiquement par votre femme. C'est aujourd'hui que votre paternité commence vraiment et non pas dans six mois, ni dans un an, ni quand sa mère vous l'aura tendu en vous nommant (comme tant d'analystes le souhaitent), c'est tout de suite que vous devez adopter dans votre corps, au travers de nouvelles sensations, votre enfant. Il n'y aura de place pour le père que si la rencontre selon le corps s'opère dès la naissance. » (p. 99)

5. « […] le moteur de la misogynie est l'éducation du jeune enfant par les femmes. L’œdipe maternel prolongé avec le garçon déclenche la misogynie des hommes ; et le rêve maternel portant sur les filles empêche celles-ci de vivre leur désir personnel : elles sont ainsi cantonnées, pour ce qui est de leur identité, dans la prison du désir des autres, dépendantes d'abord de leur mère, puis de leur mari, enfermées à tout jamais dans la séduction et l'hystérie comme mode d'existence...
Il est évident qu'une psychanalyste ne peut rester indifférente aux mesures prises par l’État en ce qui concerne la place de l'enfant dans la vie sociale des parents, puisque c'est de cette place que va dépendre la possibilité de nouer avec l'un des parents ou les deux une relation inconsciente qui se situe à l'origine de la vie, et sera à l'image de toute autre relation affective à venir.
Nous commençons à peine à nous rendre compte que c'est à partir de 1970, au moment où l'enfant a fait l'objet des revendications et des lois féministes, qu'est apparue la première génération sans père. En donnant toute la place au seul désir de la mère, nous avons fait de ces enfants d'éternels babas cool refusant le combat de la vie, ou au contraire des êtres violents et vindicatifs cherchant toujours la confrontation avec une autre autorité que celle de le mère. » (pp. 150-151)

6. [Évolution du garçon sans le père :] « Il est évident que ce qui est déjà difficile entre mère et fils, lorsque le père était dans la famille, devient ici impossible autrement que par la 'contre-identification' à la mère qui vient prendre la place de 'l'identification' au père. Le garçon n'a qu'une solution et ne conclut que dans un sens : pour être homme, il suffit de ne pas être une femme. Les prémices de la misogynie et tous ses corollaires sont là, et la femme qui fera suite à la mère ne pourra qu'en subir les conséquences.
Plus la relation mère-fils est unique et prolongée, plus la réaction de l'homme sera violente. La famille monoparentale n'est donc en rien le lieu idéal d'où sortira l'homme nouveau. »
[Évolution de la fille face à la seule mère:] « La vie d'une fille est de toute faon, dans la famille monoparentale comme dans la famille classique, marquée par des débuts délicats face à une femme qui lui demande beaucoup. Dans le cas de monoparentalité il paraît impossible de s'opposer à cette seule mère et de prendre le risque de ne pas être aimée d'elle. Le plus souvent, la fillette qui vit seule avec sa mère joue la soumission à cette mère, faute d'être, dans leur opposition, soutenue par le père absent.
Les mères seules se prennent parfaitement au jeu de leurs trop charmantes petites filles et ignorent que le retour de bâton au moment de l'adolescence n'en sera que plus violent et plus prolongé, car ce n'est qu'en second lieu, et soutenue par ses copines et éventuellement son petit ami, que la fille osera enfin se défaire de sa soumission à sa mère, affronter sa rivale de toujours. » (pp. 182-183)

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Swann




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Posté: Lun 10 Juin 2024 9:08
MessageSujet du message:
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« apo » a écrit:
Cit. :

1. « Mycènes-la-Rouge abrite en son sein une femme qui peut en bien des points être comparée à certaines mères d'aujourd'hui qui, mésestimant leur mari, oublient qu'ils sont pères et divorcent d'avec eux, obligeant leurs enfants à vivre sans eux, et parfois à partager le mépris et la haine de celui dont ils sont les fils et les filles, donc à s'autodévaluer en tant qu'enfants d'un tel père.
Oreste pose la question moderne : peut-on ne pas en vouloir inconsciemment à une mère qui renie ou ignore chez son enfant la part de celui qui l'a engendré ? Combien d'Orestes, combien d'Electres, aujourd'hui, reprochent à leur mère sa toute-puissance en face de l'inexistence du père, cachant au plus profond d'eux-mêmes une âme vengeresse ? Celle-ci les poussera à commettre des délits sociaux inexplicables, sinon par le besoin profond qu'ils éprouvent de se dresser contre le pouvoir qui leur apparaît comme injustice... Combien d'Hamlets restent cloués au sol, aimant tendrement celle qu'ils blâment pour le mal cruel qu'elle leur a fait en les privant de père...
Combien de pères ne savent pas si dans l'intérêt de l'enfant il faut obéir au désir maternel et à la loi, et rentrer discrètement dans l'ombre en essayant d'oublier ce morceau d'eux-mêmes abandonné à une femme (et peut-être à un autre homme), ou s'il faut s'élever contre cette loi inique qui donne immanquablement l'enfant à sa mère.
Que représente l'enfant pour une mère, qu'il ne représente pas pour un père ? Lequel se montre moins prêt à aménager sa vie en fonction d'un enfant que ne le fait la mère. » (pp. 8-9)

Il aurait peut-être fallu choisir le paradigme de Clytemnestre d'une façon plus prudente, où étudier ses implications là où elles menaient vraiment. Non, Clytemnestre n'a pas réagi par jalousie parce que Cassandre était dans les bagages d'Agamemnon, le mal était fait depuis longtemps et la rupture consommée : elle était en ménage avec Egisthe et ils avaient un enfant. Elle ne le "mésestimait" pas. Elle a tué un "père dangereux" (qui avait fini par sacrifier Iphigénie sur l'autel d'Artémis, de ses ambitions personnelles autant que par loyauté à la coalition des Achéens), réalité psychologique qui donne plutôt des familles d'Amazones, des familles de femmes où l'homme ne fait que passer. Donc parler d'empêchement par rancune de femme d'accéder aux enfants, cela ne correspond pas vraiment à Clytemnestre. Je ne nie pas que de telles femmes existent. Je nie en revanche le "syndrome d'aliénation parentale" jamais sérieusement étudié et brandi devant les juges aux affaires familiales comme s'il l'était.
Je ne réagis (avec cuistrerie, peut-être) que sur un détail de citation.
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apo



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Posté: Ven 14 Juin 2024 16:42
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Non, aucune cuistrerie ! Au contraire, la mise au point sur Clytemnestre est très intéressante.
Est-ce que tu veux bien en dire davantage sur le "syndrome d'aliénation parentale" ?
Peut-être cela aussi n'est plus vraiment d'actualité depuis la (relative) généralisation de la garde alternée ?

(De manière générale, je pense que ce livre était un corollaire de l'essai précédent d'Olivier que j'ai lu ensuite et qui m'a paru beaucoup plus intéressant. Corollaire visant à dénoncer la tentative de mainmise sur l'éducation de l'enfant de la part de la mère, comme effet et cause en spirale du patriarcat. - c'est là l'idée que je retiens surtout de son travail, et je dois dire qu'elle me convainc, et toi?)
Bon weekend.
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