[Histoire du Chevalier des Grieux et de Manon Lescaut | Abbé Prévost]
Septième volume des Mémoires et aventures d'un homme de qualité qui s'est retiré du monde, intitulé Histoire du Chevalier des Grieux et de Manon Lescaut, qui constitue une histoire à part contée par le chevalier Des Grieux à Renoncourt, le héros des Mémoires principales. Le siècle avait des préjugés à l'encontre du roman qui fit fleurir toutes ces mémoires fictives...
Au moment où sa vie de fils cadet noble va l'emmener vers la vie monastique de l'ordre de Malte, après une hésitation avec le métier des armes, le chevalier Des Grieux, âgé d'à peine dix-sept ans, fait à Amiens la rencontre de Manon Lescaut, une jeune fille qu'un "on" dont on ne saura rien envoyait au couvent "pour arrêter sans doute son penchant au plaisir, qui s'était déjà déclaré". Une passion pour la beauté et le charme de la jeune fille le poussa alors à enfreindre tout ce à quoi il s'était soumis jusque-là, la morale religieuse et sociale, son destin de fils de l'aristocratie, la volonté de sa famille et de celle de Manon et il se propose alors de partir épouser Manon à Paris et d'y commencer une vie impécunieuse, en attendant des opportunités... C'est une vie tumultueuse, entre bonheurs et malheurs, mais qui le fait progressivement et constamment déchoir, qui les attend...
Voilà une relecture fructueuse. Mes premiers contacts du passé avec ce roman, plus motivés par la nécessité autant que l'envie de me constituer une culture classique, m'avaient laissé le souvenir des multiples promesses d'amour fidèle jamais tenues, de ma perplexité indignée devant l'incapacité à rompre de Des Grieux malgré les mains tendues de Tiberge, du Père supérieur à Saint-Lazare, de son frère aîné, de son père...
Depuis cette présente relecture, le souvenir qui me reste est moins lié aux péripéties elles-mêmes qu'au thème de la déchéance, spécialement celle de Des Grieux - car on ne peut pas dire que Manon tombe de bien haut. D'un mouvement de jeunesse qu'on pourrait excuser, surtout s'il avait tenu son intention d'épouser Manon (le dénouement laisse penser que tous ses malheurs et surtout le malheur suprême, découlent de cette vertueuse intention manquée), il perd sa générosité, dont il est si imbu ; l'auteur ne cesse d'ailleurs de modaliser son récit de telle manière qu'on sache que la noblesse seule vaut quelque chose et que ses privilèges coulent donc de source. Sous l'influence de l'amoralité des Lescaut frère et sœur, alors que l'influence d'autres vertueux et notamment celle de l'admirable Tiberge, il tombe dans la friponnerie, le proxénétisme plus ou moins involontaire, il ment, ourdit, exploite les sentiments d'autrui, l'amitié, l'amour, fait à son père un numéro d'hypocrite digne de Dom Juan face à Don Louis, et j'en passe et d'autrement plus salées, afin de ne pas déflorer le plaisir-indignation de voir jusqu'où Des Grieux peut déchoir par passion.
A ma grande surprise, car je l'avais complètement oublié, Manon progresserait presque, à côté de lui : sa passion à elle, la cupidité, le goût du plaisir effréné et une sorte de vénalité automatique pour les assouvir, s'estompent quelque peu au fil du roman, elle perd ce qui pourrait être de l'amoralité (je la soupçonne de l'avoir quand même un peu affectée pour mieux manipuler son amant) au contact de la certitude d'être immoral de son amant. En voyant les souffrances de ce dernier, elle découvre l'empathie plutôt que la peur de ses réactions ; je finis par être d'accord avec ceux qui parlent de rédemption finale. L'auteur, abbé sans dispositions, semble vouloir nous dire à chaque page : Vous voyez ce que ça fait faire, la passion ? Pas joli, n'est-ce pas ?
Bref, j'aime mieux cette relecture de l'âge mûr mais je m'attriste en songeant une fois de plus, à quel point l'appréhension des romans classiques (et de beaucoup d'autres) et littérairement ambitieux, rend indispensable, pour être pleinement apprécié à sa juste valeur, la houlette d'un professeur de Lettres pour nous faire prendre conscience qu'un personnage odieux et une histoire dégoûtante ne font pas un roman dégoûtant et odieux, que ce dernier peut être réellement un chef-d’œuvre. Il m'avait manqué d'étudier La Princesse de Clèves pour l'apprécier.
J'avoue qu'au demeurant, certaines répétitions ont fini par me lasser, n'apportant rien à l'histoire, et que cela m'a donné hâte d'en finir.
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