Cet essai possède une forme hybride : il proclame l'existence d'un instinct paternel, nié par le virilisme au nom d'une glorification différentielle de l'instinct maternel (par ailleurs lui-même contestable), et nié par la psychanalyse ; mais aussi, en faisant « le plaidoyer en faveur des nouveaux pères », il se pose sur le plan du souhaitable, de l'idéal, du « processus en devenir », créant ainsi une certaine confusion entre l'être et le devoir-être, entre le réel et le vœu, faisant fi de la nature certainement dialectique que revêt cette « paternité relationnelle » dont il est question tout au long de l'ouvrage. Tel un roman à thèse, ou pire, le livre contient des démonstrations qui perdent souvent en vigueur du fait de sa nature de « manuel de développement personnel ».
Ainsi, dans le Chap. 1, « Comment les hommes ont été dépossédés de l'instinct paternel », s'il est démontré efficacement que l'instinct est contradictoire avec la figure même de l'homme dans l'idéologie viriliste (car il serait l'apanage de la femme), le concept spécifique d'instinct paternel n'est pas défini, et il se confond avec les différentes stratégies de partage (on non) de l'investissement parental présentes dans le règne animal – ce qui est presque contradictoire avec ce qu'il fallait démontrer... Le paragraphe sur la psychanalyse qui conclut ce chap., quant à lui, est tellement court et superficiel qu'il fait mine d'ignorer la distinction entre la figure du père, avec tout ce qu'elle a de symbolique, et le père réel, le « père impliqué et présent », individu titulaire de ce fameux instinct dont l'existence reste à prouver.
Le Chap. 2, « Les verrous sautent : l'avènement d'une nouvelle paternité », lui aussi très bref, part du néolithique sans prendre position sur le débat patriarcat/matriarcat, il semble minorer la paternité romaine, et pis, toute la question de l'évolution de la famille et du patriarcat tout au long des siècles, pour arriver au « mouvement de la libération des femmes : un tournant pour la paternité ». Clairement, le but de ces rapides rappels historiques est ici de nier que la récente tendance vers l'égalité des genre s'opère au détriment de la figure du père : bien au contraire, la thèse est que c'est bien cette évolution sans précédent et encore en cours qui permet l'avènement du « nouveau père » et la possibilité de la « paternité relationnelle ».
Le Chap. 3, « L'épopée des pères aujourd'hui », qui m'a par contre semblé un peu long, est constitué de témoignages de « nouveaux pères », dont l'instinct paternel (toujours ineffable) se développe grâce à l'épanouissement de leur implication quotidienne dans les soins notamment des enfants en bas âge, mais qui font face aussi à des difficultés de tous ordres, notamment dues au manque d'un modèle établi de leurs nouveau rôle, également vis-à-vis des mères.
Enfin comme tout bon « manuel », l'ouvrage se termine (chap. 4) par : « Dix propositions pour consolider la paternité contemporaine », qui me semblent intéressantes à noter malgré le faible lien que j'y vois avec l'objet du livre : Faire une vraie place au père ; Découvrir le chemin de l'intime ; En finir avec les stéréotypes de genre, grâce aux nouvelles connaissances sur le cerveau ; Conjuguer l'empathie au masculin ; Miser sur une paternité bienveillante avec les ados ; Promouvoir la démocratie de l'intime ; Masculiniser les professions de l'enfance et de l'éducation ; Solliciter les pères et pas seulement les mères ; Allonger le congé paternité ; Créer un secrétariat d'État aux Droits des hommes.
Cit. :
1. « […] L'allégement des contraintes du masculin (fin de l'obligation au mariage, partage des responsabilités économiques...) généré par plus d'égalité entre les hommes et les femmes, par un meilleur partage des droits civiques et sociaux, parentaux, avec les transformations de la culture qui accompagnent le passage à la société postindustrielle, libère l'exercice de la paternité, dans le sens d'une paternité "relationnelle". Les transformations du masculin à la suite du mouvement des femmes ont en effet libéré les hommes des contraintes qui pesaient sur eux, d'un rôle imposé au regard de la filiation, de l'autorité, des normes […]. » (p. 54)
2. « […] L'instinct paternel se pare de nouvelles variations, de nouveaux qualificatifs, après s'être dégagé des conceptions qui le situaient dans le registre de l'abstraction et de la domination. L'amour paternel peut désormais se concevoir dans l'implication interactive, directe, auprès et avec l'enfant. Mais être un père impliqué et relationnel aujourd'hui n'est pas si facile, car cela nécessite de nombreuses qualités. On est bien loin de l'image de mollesse et de féminisation du père, comparé à une mère bis, qui pourrait être véhiculée quand le père s'implique ; représentations qui dénaturent les avancées réalisées par la paternité contemporaine. La paternité relationnelle, en se préoccupant à son tour de l'entretien du vivant qui n'est plus délégué ou abandonné à la femme, constitue une avancée précieuse pour l'humanité, dont nous commençons seulement à prendre conscience. La paternité relationnelle devient une nouvelle norme. » (pp. 59-60)
3. [Des études psychologiques (Caroline Boiteau)... et neurobiologiques récentes démontrent que...] « […] Le père "est capable de se connecter à l'état émotionnel du nouveau-né. De réguler son attention pour lui permettre d'être un partenaire de conversation attentif et compétent. D'étayer la capacité du nouveau-né à travers des résonances internes. Parce que sa motivation à communiquer est suffisamment saillante pour être perçue par le nouveau-né". Il importe de reconnaître enfin que, quel que soit son sexe, le parent est capable d'entrer en interaction avec le nouveau-né, à condition qu'on lui laisse la place ou que sa conception du rôle l'incite à la rendre.
[…]
La reconnaissance de cette réalité, qui a pu être appréhendée de manière biaisée dans le passé, permet aussi d'appréhender les interférences profondes entre l'instinct et la culture.
[…]
Aujourd'hui, on découvre avec une certaine surprise et un grand intérêt que, pendant la grossesse de la femme, des transformations seraient à l’œuvre aussi chez l'homme. […] On constaterait ainsi une augmentation du taux de cortisol et de prolactine chez des pères après l'accouchement, hormones qui seraient impliquées dans l'investissement parental. Le taux de vasopressine […] augmenterait lui aussi juste avant l'accouchement, modifiant ainsi certaines zones du cerveau qui favoriseraient la création du lien père-bébé. Au cours des derniers mois de grossesse, il pourrait y avoir aussi chez l'homme une diminution du taux de testostérone […] et d’œstradiol [...]. Ce qui diminuerait l'activité sexuelle et favoriserait le développement de l'attention en direction du bébé. » (pp. 94-96)
4. « Les vertus digitales et algorithmiques tendent entre autres à niveler les différences entre les garçons et les filles, les hommes et les femmes, au profit de tendances personnelles, existentielles. La force neuronale concerne les hommes et les femmes […] par-delà les spécificités biologiques. Et ces dernières prennent un sens nouveau, perdent leur dimension différentielle. La "matrice différentielle" qui a accompagné l'histoire de la société, comme l'a défini Françoise Héritier, se transforme. Le moteur de la société se déplace. Le père, cet éternel César de second rôle, a désormais une place qui fait sens dans la société du virtuel, en panne d'interactions, dans la société des robots, en déficit de liens humains, dans la société technique, instrumentalisée, en panne de respect de l'humain et en panne d'environnement respectueux de l'humain, trop préoccupée de machine, de prothèses, de rentabilité. » (pp. 181-182)
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