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[Un train pour Tachkent | Jascha Golowanjuk]
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Posté: Mer 27 Avr 2022 21:56
MessageSujet du message: [Un train pour Tachkent | Jascha Golowanjuk]
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Habituellement, je ne suis pas lecteur de la littérature jeunesse : d'ailleurs, la couverture de ce roman ancien (1973) trouvé dans une « ruche à livres » ne laissait pas supposer qu'il était destiné à un public pré-adulte. J'ai été attiré par son titre ainsi que par la photo représentant deux vieux hommes barbus habillés comme l'étaient les Ouzbèkes que j'avais rencontrés il y a plus de vingt ans. Quelques belles photos d'Ouzbékistan et de jolis croquis parsèment également le texte.
Dans ce livre, le héros est un petit garçon et le monde est décrit à travers son regard. Arrivé parmi les Kirghizes étant bébé dans un village appelé la Source de Vie, au milieu du désert Kızılkum (Sable Rouge) – entre la Mer d'Aral, ses deux grands affluents le Syr Daria et l'Amou Daria, et le chemin de fer reliant Tachkent, Samarkand, Boukhara et une ville nommée Tchardjoui que je ne retrouve pas sur les cartes modernes – accompagné par son père, un Russe qui meurt aussitôt et par son serviteur chinois Wang-Fuh qui adossera le rôle de père nourricier, Chou-la sera élevé comme un semi-nomade kirghize. À l'instar du Kim de Kipling, le petit Blanc grandit parmi les autochtones jusqu'à ce que la curiosité pour le vaste monde et l'incitation de Wang-Fuh ne le poussent vers les horizons de la civilisation urbaine dont il ignore tout, jusqu'à la langue russe. Sa première traversée solitaire du désert avec son petit singe, sa rencontre avec le « cheval de fer » (le train) le conduisant à la grande ville de Tachkent et ses péripéties initiatiques débutent vers 1915, alors qu'il est confié à un pédagogue sévère et adopté par un magnat du pétrole arménien en mal d'enfant. Mais la Révolution d'Octobre survient après une guerre déjà appauvrissante, qui précipite son protecteur dans la misère et enfin dans la captivité dont Chou-la, accompagné de la petite Maïmaha que ce dernier a sauvée dans le désert, parvient à le libérer de façon rocambolesque grâce à sa remarquable débrouillardise, sagacité et hardiesse. Mais la nostalgie de la Source de Vie plus que les rudesses de la Révolution, celle de la vie dans la steppe que tout oppose au Pays des Melons, et surtout celle de Wang-Fuh, « le meilleur des hommes » le plus sage et qui possède des dons chamaniques, provoquent son retour auprès des siens, tel un aigle épris d'horizons infinis « dont personne ne peut rogner les ailes, ni diriger le vol »...
Un petit livre d'une grande poésie dont le héros-enfant peut constituer un modèle projectif sain pour des pré-ados de partout.



Cit. :


1. « La vieille femme s'approcha de Chou-la, lui enleva du bout des doigts son bonnet de fourrure qu'elle tendit à un serviteur. Les autres gens s'approchèrent alors et vinrent regarder sa tête de près.
- Puissant seigneur, dit Chou-la s'adressant au prince, ne peut-on pas faire entrer un peu d'air frais dans cette chambre ? L'odeur de ces femmes m'empêche de respirer, surtout celle à qui tu as baisé la main, elle empeste ! Tous ces gens sentent bien mauvais. Un chameau, un cheval, un chien, tous ont leur odeur, qui n'est pas bonne, c'est vrai ; mais ici, ces hommes et ces femmes en ont plusieurs en même temps. C'est trop !
- Tu ne te figures pas à quel point nous trouvons que tu sens mauvais, toi aussi, répliqua le prince.
Chou-la demeura stupéfait. » (p. 55)

2. « -Dis-moi : qu'aimes-tu le mieux au monde ? Je veux dire : qu'y a-t-il de meilleur au monde, à ton avis ?
M. Avaljanz se baissa, cherchant à voir le visage de Chou-la, mais dut y renoncer.
- Je ne comprends pas très bien ta question, dit-il enfin. Il y a dans le monde tant de belles et bonnes choses que j'admire et auxquelles je tiens. La vie est un don magnifique et je l'aime.
- Mais, la liberté, c'est bien ce qu'il y a de meilleur et de plus important, n'est-ce pas ?
- La liberté ! murmura M. Avaljanz. Bien sûr, rien n'est plus dur que d'en être privé. Tu as raison, c'est vrai !
- Je voulais le savoir, simplement. N'oublie pas ce que tu viens de dire. Ne l'oublie pas, quand nous aurons atteint la route des caravanes.
- Non, je te le promets. Je me souviendrai toujours que tu m'as sauvé la vie et rendu la liberté.
- Et tu me la rendras, toi aussi ! conclut Chou-la.
- Le monde est grand et beau, rempli de merveilles. Tu verras mon petit, tu en jouiras.
- Mais, de toute façon, tu me rendras la liberté ? insista Chou-la.
- Il y a, dans ce monde, des montagnes magnifiques, des forêts, des lacs, des mers, de grandes villes aux maisons aussi hautes que des montagnes, des pays où les hommes vivent au milieu des fleurs, où le soleil est doux et le vent caressant.
- Pour moi, il n'existe qu'un seul lieu au monde : celui que mon cœur pleure ! soupira Chou-la.
- Je te comprends, affirma M. Avaljanz lui serrant affectueusement la main. J'y ai longuement songé, assis dans cette cave obscure. Privé moi-même de liberté, j'ai compris ce que c'était pour toi.
Ils restèrent longtemps sans parler, longeant les faubourgs de Tchardjoui. » (pp. 150-151)

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