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[Tristes paradis | Denis Richard]
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Posté: Sam 20 Nov 2021 15:16
MessageSujet du message: [Tristes paradis | Denis Richard]
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Conforme sans doute à la ligne éditoriale de Larousse ou fidèle à sa tradition lexicographique, ce manuel se présente sous la forme d'un guide-référentiel, le plus exhaustif possible, de toutes les toxicomanies et comportements addictifs. Sa forme typographique très aérée d'ouvrage de consultation aisée, doté d'encadrés thématiques comportant quelques témoignages et des curiosités historico-anthropologiques ou thérapeutiques ne sert pas la démonstration de thèses comme ce serait le cas dans un essai, et encore moins ne traite le côté psychologique ni psychiatrique ni psychanalytique des causes des addictions. Les lecteurs friands de théorisation et de réflexion s'en trouvent frustrés.
En revanche, selon un schéma très classique, après une chapitre initial qui rappelle les concepts de dépendance et de tolérance et d'addictions en tant que « toxicomanies sans drogues », chacun des 10 suivants approfondit l'usage, occasionnel, régulier et l'abus d'une substance en particulier : le tabac, l'alcool, le cannabis, les psycho-stimulants, les « drogues sur la scène festive » (MDMA et « drogues dissociatives » comme la kétamine), les opiacés, les hallucinogènes, les solvants et poppers, les médicaments psychoactifs, et enfin les comportements addictifs (jeux, troubles alimentaires, sexe, achats compulsifs, sur-travail, réalité virtuelle, dysfonctionnements amoureux). Suivent un chapitre (12) intitulé : « Comprendre les comportements addictifs », qui inventorie différentes théories neuro-biologiques (circuits de récompense), psychanalytiques et psychologiques complémentaires ou contradictoires, avec une préférence à peine exprimée pour une seule d'entre elles, qui m'a semblé la plus novatrice : la « théorie du renversement psychologique » (cf. cit. 4). Enfin, le ch. 13 est consacré aux méthodes de sevrage, en particulier à la trajectoire en « douze étapes » et aux traitements de substitution. Les chapitres consacrés à chaque drogue, des plus « innocentes » (café, chocolat) aux plus réprouvées et toxiques (héroïne, etc.) présentent, de façon très scolaire, des données historiques, pharmacologiques, cliniques sur les dangers éventuels au niveau physiologique, psychologique, les spécificités de toxicité et de génération de dépendance et de tolérance, ainsi que les caractéristiques des consommateurs ; y sont même inclus des détails tels les effets spécifiquement nocifs pour les femmes enceintes, les comorbidités avec une attention constante à la corrélation entre psychopathologies concomitantes ou provoquées et toxicomanies.


Cit. :


1. « L'addictologie dépasse des comportements qui seraient stigmatisés comme "pathologiques". Elle s'inscrit dans une dimension psychologique individuelle mais également dans une dimension sociologique qui doit savoir éviter un écueil : considérer comme des maladies des conduites et des pratiques qui, en fait, ne constituent que l'expression d'une quête de bien-être personnel et de lien social fondant la dimension proprement humaine de nos comportements. » (p. 34)

2. « Mais d'autres hallucinogènes sont obtenus par synthèse chimique ; leur utilisation ne s'inscrit pas alors dans une histoire culturelle ancienne et maîtrisée, mais s'ancre dans un contexte d'expérimentation de drogue souvent hasardeux. L'expérience hallucinogène varie selon la nature et la quantité de la drogue utilisée, l'association à d'autres drogues, le contexte d'usage, les éventuels antécédents psychiatriques du consommateur et sa capacité à maîtriser les sensations et affects suscités par l'hallucinogène. Elle peut se traduire par :
- des manifestations évoquant celles d'une maladie mentale […]
- une sensation de lucidité singulière de la pensée ;
- une modification des perceptions sensorielles avec parfois des hallucinations auditives, visuelles ou autres, plus complexes […]
- les souvenirs d'épisodes de la vie enfouis dans l'inconscient ;
- une expérience dite "psychédélique", à caractère mystique, pouvant être traduite par un sentiment de compréhension de l'univers incommunicable autrement que par partage de cette expérience même. » (p. 182)

3. « L'impérieuse nécessité du bien-être. Deux idées maîtresses peuvent être repérées :
- la soumission à la notion de bien-être : la consommation médicamenteuse serait alors tributaire d'une recherche de santé absolue érigée en besoin légitime, en nécessité pour le corps social. La prise de psychotropes constitue une réponse à un besoin que ces patients n'associent pas forcément à un trouble ;
- l'indispensable adaptation à la norme sociale pour faire face aux événements nouveaux implique de recourir à des béquilles chimiques. Ce besoin est fort dans une société psychiquement traumatisante par sa rapide évolutivité, sa constante mouvance et son inaptitude à rassurer quant à l'avenir.
Pour une majorité de patients, la motivation à recouvrer de bien-être dépasse la crainte d'une dépendance : le prescripteur occuperait une position de garant et la confiance accordée à la médecine renforcerait la banalisation de cette consommation particulière. » (p. 224)

4. [Corollaire de la « théorie du renversement psychologique »] : « Dans le modèle de gestion hédonique […] les dépendances représentent des stratégies de gestion des niveaux de plaisir/déplaisir dans lesquelles l'expérience subjective et son interprétation par la personne dépendante entrent en jeu pour le développement, la poursuite ou le déclin de la dépendance. Ce modèle psychologique fait des addictions des phénomènes motivationnels, liés à des attentes, à des valeurs elles-mêmes déterminées par un apprentissage social de nature cognitive. Ce sont ces facteurs psychologiques qui sont prépondérants dans le parcours conduisant à la dépendance, les facteurs physiologiques restant secondaires. Dans le cadre de ce modèle, les dépendances sont considérées comme une forme extrême d'un phénomène d'autogestion motivationnelle ordinaire dans la vie de tous les jours. L'individu gère son bien-être en jouant sur ses niveaux d'activation et ses états psychologiques. Cette gestion apprise durant l'enfance peut produire dans certaines conditions des besoins secondaires artificiels : les dépendances. Dans ce cas, des vulnérabilités personnelles prédisposantes accroissent le "décalage hédonique" de l'individu, défini comme la différence entre les niveaux de mal-être psychologique qu'il peut tolérer et ceux qu'il vit habituellement. » (pp. 176-177)

5. « Il est fréquent que des troubles psychiatriques induisent l'usage de substances psychoactives, comme une manière d'automédication. Dans ce contexte, l'installation d'une dépendance psychologique est souvent très rapide. De plus, les pathologies psychiatriques sous-jacentes doivent évidemment être prises en compte dans le traitement proposé à la personne devenue dépendante. Il en est ainsi pour : l'anxiété et la dépression […], la schizophrénie […], les troubles bipolaires [...] » (pp. 318-319)

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