Gogol.
Les « Nouvelles de Pétersbourg » (1843) de Nicolas Gogol (1809-1852) rassemblent notamment « Le journal d’un fou » (1834) et « Le nez » (1836) qui pourraient trouver des échos dans « Yoga » (2020) ou « La moustache » (1986) d’Emmanuel Carrère.
« Yoga » est le journal romancé d’une dépression, le récit autobiographique fictionnel d’une descente aux enfers et d’une lente remontée aux forceps. La maladie mentale est bien présente, exposée sans fard même si l’auteur arrange, gomme, oriente son histoire. « Puisqu’il faut commencer quelque part le récit », Emmanuel Carrère débute par une retraite spirituelle visant à s’exercer à la méditation dans un centre Vipassana. Vipassana est un terme bouddhique qui désigne une introspection lucide apte à révéler l’impermanence de l’existence. La première partie du récit agit comme une mise en abyme. Le lecteur est installé dans la connivence. Sur un ton distancié, humoristique mais aussi impliqué, sérieux, Emmanuel Carrère jalonne ses observations de terrain de souvenirs, d’anecdotes, de citations, de réflexions. La méditation se décline en multiples définitions. La respiration est travaillée. L’auteur aurait pu écrire un livre sur le yoga et l’intituler « Expiration » mais justement, la mort approche avec son aura effrayante d’anéantissement et puis l’auteur n’a jamais su expirer. Il va donc continuer à ne pas mourir envers et contre tout.
Pour le lecteur du Télérama des années 1980, Emmanuel Carrère n’était pas un inconnu puisqu’il y chroniquait les films. Son ascension et sa reconnaissance en tant qu’écrivain auraient pu paraître incidentes. C’est donc vierge de tout un fatras médiatique que le lecteur lambda peut aborder le dernier livre en date d’Emmanuel Carrère. « Yoga » est un livre prenant, intelligemment composé, écrit avec fluidité, pertinence. La plume travaille la plaie. La blessure de l’auteur est inhérente à l’espèce humaine. Il ne peut que nous parler et nous percuter. Réfractaire à la logorrhée introspective, à l’autofiction complaisante, le lecteur peut se laisser porter par ce livre des mille et une vies contées avec art et légèreté, au-dessus des abîmes.

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