De ce court ouvrage, ce qui m'a paru le plus intéressant, c'est certainement la Préface par la psychanalyste Catherine Audibert, dont le livre consiste à la hauteur d'environ un tiers. À la recherche de l'actualité éventuelle des découvertes sur les addictions des premiers psychanalystes, au-delà du troublant silence de Freud, « pourtant grand fumeur toute sa vie, et quelque temps amateur de cocaïne, à laquelle il consacra plusieurs textes pour en vanter les vertus (entre 1884 et 1887) [qui] ne théorisa jamais les addictions en tant que telles » (p. 7), Audibert découvre des idées inspirantes chez Ferenczi, concernant surtout l'alcoolisme. La Préface en fait état, et le reste du livre contient les textes qui y sont cités, sous forme d'articles (1911-1932) dont les titres et les développements ne relèvent pas directement des addictions ni même de l'alcoolisme. Il aurait été plus intéressant, me semble-t-il, que la psychanalyste signe elle-même un essai développant davantage l'apport de Ferenczi, dont je suis bien incapable de juger jusqu'à quel point il était prémonitoire et/ou il serait encore valable de nos jours, hormis la confirmation récente, par les neurosciences, de l'existence de « substances euphorigènes endogènes », existece que la psychanalyse a présumée dès ses débuts, et dont la carence (pour des raisons neurophysiologiques ou psychologiques) fraye le chemin des addictions.
La primauté du traumatisme et de la névrose sur l'addiction, le rôle thérapeutique de la substance, prise comme alternative consciente ou inconsciente à la psychose, le clivage narcissique des addictés et enfin la nécessité d'adapter la cure analytique aux spécificités de tels patients me semblent être les idées-clés de Ferenczi. Le fait qu'elles aient été énoncées de façon épi-phénoménologique dans son œuvre, voire même dans le cadre anecdotique d'une polémique sur l'antialcoolisme, me paraît, somme toute, inintéressant, contingent, éphémère...
Cit. :
1. « À travers ce que Ferenczi s'attache ici à montrer, nous voyons par quelles stratégies inconscientes, telles que les addictions, un sujet en proie aux séquelles de traumatismes anciens dévoile un clivage narcissique profond […] dans lequel le moi s'est scindé en deux parties, l'une s'occupant de traiter l'autre, comme une bonne mère prendrait soin de son enfant. À l'analyste alors, dans la cure, de prendre en charge "l'enfant dans l'adulte", comme les parents auraient dû se soucier de lui dans le passé, pour ne pas reproduire dans l'actuel les mêmes réactions défensives du patient. » (C. Audibert, Préface, p. 14)
2. « La distinction entre différentes formes d'addictions n'apporte en effet que peu d'éléments sur les raisons psychiques du phénomène compulsif. Ce ne sont pas les effets pharmacologiques des substances, ou l'influence de la chimie interne provoquée par certaines activités, qui déterminent l'addiction, mais la fonction psychique à l'origine du recours constant à un produit ou un comportement qui importe dans le processus poussant une personne à vivre sous l'emprise de l'acte addictif. Les addictions viennent en effet, dans un second temps seulement, pallier les conséquences d'une souffrance psychique bien antérieure, souvent déterminée par des traumatismes anciens, sinon archaïques. » (C. Audibert, Préface, pp. 18-19)
3. « Le médecin-major Drenkhahn a démontré dans la statistique de morbidité de l'armée allemande que par suite de la propagande antialcoolique des dernières années la "morbidité alcoolique est tombée rapidement de 0,419 % à 0,07 % dans l'année, mais qu'en échange le nombre des autres causes de morbidité névrotiques et psychotiques s'est accru dans les mêmes proportions" […]. La victoire sur l'alcoolisme n'entraîne donc qu'un progrès apparent de l'hygiène. Le psychisme privé d'alcool trouve encore d'innombrables voies pour fuir dans la maladie. Et si les psychonévrosés, au lieu d'alcoolisme, sont atteints d'hystérie d'angoisse ou de démence précoce, nous devons regretter les trésors d'énergie gaspillés dans la lutte contre l'alcoolisme avec beaucoup de bonne volonté mais dans une optique erronée. » (note p. 48, repris et commenté pp. 77-78)
4. « J'en conclus que la responsabilité des symptômes d'ébriété n'incombait jamais à l'alcool seul. La boisson agissait comme facteur déclenchant, détruisant les sublimations, empêchant le refoulement, mais la cause fondamentale des symptômes devait être recherchée au niveau des désirs profonds qui appellent la satisfaction.
Tandis que pour certains sujets "intolérants à l'alcool" la boisson est une tentative inconsciente d'autoguérison par le poison, d'autres névrosés, au risque de sombrer dans l'alcoolisme chronique, emploient ce produit, consciemment et avec succès, comme médicament. » (p. 82)
5. « […] l'alcoolisme menace plus particulièrement les individus réduits par des causes psychiques à faire appel dans une plus grande mesure aux sources de plaisirs extérieures. » (p. 83)
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