Brousse qui pique.
Dans le sertão du Nordeste brésilien, arrière-pays aride où les richesses sont aux mains des fazendeiros, la population étant paupérisée, les cangaceiros s’organisent en bandes pillardes et violentes afin de rançonner les grands propriétaires des fazendas. Dans la végétation blanche et acérée de la caatinga, les bandits de grands chemins sont pourchassés et assassinés par les hommes de main à la solde des nantis. Apaches postmodernes, nomades utilisant toutes les ressources du terrain, les cangaceiros ont « rayonné » dans la première moitié du vingtième siècle jusqu’au démantèlement de la bande de Lampião, le 29 juillet 1938. C’est à partir d’un jeu de clichés, l’un montrant la bande de Lampião posant pour la photographie, l’autre présentant leurs têtes décapitées, qu’Hermann a entrepris de remonter le temps et les événements pour mettre en lumière la chevauchée tragique des hommes du sertão. Le parallèle avec la photographie des Fédérés fusillés par les Versaillais lors de la Semaine sanglante de mai 1871, à Paris s’impose dans le cortège funèbre des anonymes laissés-pour-compte. Le lien se fait aussi avec le roman halluciné et métaphysique, Diadorim (1956), de l’écrivain brésilien João Guimarães Rosa (1908-1967). Une image forte est toujours propice à la gamberge et au cinéma intérieur. Hermann est d’ailleurs un dessinateur cinématographique et Caatinga ne fait pas défaut à la règle. L’œuvre ne dépareille pas sa production et joue en écho avec « La flamme verte du conquistador » (1974), 8e aventure de Bernard Prince scénarisée par Greg. Dans « Caatinga », Hermann imagine l’enrôlement de deux frères dans une bande de cangaceiros après que leur famille a été massacrée par les nervis d’un colonel local vindicatif. Le scénario est simple mais l’histoire est prenante. Elle s’insère dans un flux et révèle tout un pan de l’histoire du Brésil, le climat social, l’âpreté des paysages et la dureté des hommes. En restant en surface dans le traitement psychologique des personnages, Hermann ressuscite des présences fantomatiques vite happées par les badlands dans le tourbillon de l’oubli. Son dessin est travaillé, vivant, inspiré. La caatinga n’est pas un simple décor mais exhale une présence forte et constitue de facto le personnage central de la bande dessinée. La couleur directe avec ses jeux et nuances de blancs et d’ocres est une réussite totale ; son rendu demeure inégalé. Hermann est alors au sommet de son art.
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