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[Passeport pour l'utopie | Graziano Graziani]
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Posté: Dim 22 Nov 2020 8:47
MessageSujet du message: [Passeport pour l'utopie | Graziano Graziani]
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Sur le thème des micronations, États autoproclamés souvent à l'initiative et conformément à la personnalité d'un seul individu, j'avais lu peu après sa parution l'ouvrage de Bruno Fuligni, Royaumes d'aventure (2016), qui, je trouve, constitue encore la référence sur le sujet. Ce récent travail journalistique de Graziano Graziani (2020), qui étrangement ne cite pas celui de Fuligni et présente une bibliographie très sommaire et pas d'index, est moins complet que l'autre, il ne comporte pas d'illustrations, et si certaines mises à jour y sont présentes, par ex. sur la principauté de Sealand – qui compte sans doute parmi les micronations les plus célèbres – la répartition des cinquante cas répertoriés en 11 chapitres (cf. Table infra), n'est pas toujours claire. De plus, j'ai été surpris par certains choix, en particulier par l'inclusion d'une « République de Cihangir », quartier d'Istanbul, dont la presse a parlé notamment à l'occasion des contestations populaires du Parc de Gezi en 2013 : or, si les particularités socio-urbaines de ce quartier bobo très prisé des expat français sont notoires, et si des collectifs de riverains se sont constitués autour d'activités artistiques et conviviales, aucune revendication sécessionniste ni contestation politique d'envergure n'a jamais été formulée, et la formule « République de Cihangir » relève uniquement du lexique journalistique, sans doute dans des buts sarcastiques voire de dérision qui ont peut-être échappé à l'auteur...
Bien que les micronations soient à l'évidence en train d'augmenter en nombre, que celles qui sont actuellement actives affichent des adresses internet qui leur permettent désormais d'accroître leur visibilité et reconnaissance mutuelle, et malgré que les enjeux de la déterritorialisation deviennent de plus en plus majoritairement l'évasion fiscale et le contournement des quelques réglementations de la Toile, les rares cas recensés par Graziani absents dans Fuligni ne sont pas des nouveautés. La différence, c'est que la perspective de Graziani est résolument centrée sur la péninsule italienne : j'ai été touché de découvrir autant de micronations sur son sol, comme si l'unification tardive et contesté de cet État, la survivance d'anomalies de droit international – tel Saint Marin ou le Vatican que tout le monde connaît – mêlées sans doute à un esprit anarchiste bien italien constituaient une source d'inspiration persistante. Certains de ces cas italiens qui m'étaient inconnus sont saisissants et non dépourvus d'intérêt historique ; je n'en retiens que trois, même si leur qualification de « micronation » n'est pas toujours évidente : 1) Michele Mulieri, « paysan de Lucanie, premier homme-république de l'histoire », devenu l'ami de Carlo Levi – le célèbre écrivain antifasciste auteur de : Le Christ s'est arrêté à Eboli – Mulieri dont les péripéties et tracas administratifs et judiciaires ont duré bien au-delà du fascisme ; 2) l'Île des Roses, charpente flottante réalisée au large de Rimini par Giorgio Rosa, déclarée indépendante entre le 1er mai 1968 et le 25 juin de la même année et engloutie définitivement par une bourrasque le 26 février 1969 ; 3) la « République rouge de Caulonia », petite ville de Calabre libérée entre le 6 et le 9 mars 1945 par le maire communiste Pasquale Cavallaro, armé par l'émigré italien Valerio Domenico Grasso alias agent américain Wallace D. Graham, laquelle aurait pu constituer le premier exemple et le déclencheur d'un soulèvement communiste avec redistribution foncière et attaque du clergé dans l'Italie de l'après-guerre ; ce soulèvement fut salué par Staline sur Radio Prague : « Il faudrait un Cavallaro dans chaque ville » (p. 309), mais aussitôt désavoué et abandonné par Togliatti selon la ligne politique officielle du PCI. Les nouveaux cas de micronations issues par sécession de l'Italie ne sont cependant pas qu'anciens, et l'actualité politique des dernières décennies – l'apparition de la Ligue du Nord, la mainmise de Berlusconi sur les médias, etc. – n'y est pas étrangère... Mais, en Italie comme partout dans le monde, le phénomène est encore en grande partie caractérisé par l'ironie et par les idéaux politiques et artistiques opportunément englobés dans la notion d'utopie : le titre français de cet ouvrage est donc considérablement meilleur que celui d'origine.


Table :
I. Précédents historiques
II. Îles fortunées
III. Anomalies historiques
IV. Œuvres d'art
V. Quartiers libérés
VI. Petits territoires
VII. Autoproclamations
VIII. L'imagination au pouvoir
IX. Contestations
X. À bas l'autorité
XI. Dystopies


« Constitution de la république d'Užupis
1. L'homme a le droit de vivre près de la petite rivière Vilnia et la Vilnia a le droit de couler près de l'homme ;
2. L'homme a le droit à l'eau chaude, au chauffage durant les mois d'hiver et à un toit de tuiles ;
3. L'homme a le droit de mourir, mais ce n'est pas un devoir ;
4. L'homme a le droit de faire des erreurs ;
5. L'homme a le droit d'être unique ;
6. L'homme a le droit d'aimer ;
7. L'homme a le droit de ne pas être aimé, mais pas nécessairement ;
8. L'homme a le droit de n'être ni remarquable ni célèbre ;
9. L'homme a le droit de paresser ou de ne rien faire du tout ;
[…]
14. L'homme a le droit, parfois, de ne pas savoir qu'il a des devoirs ;
15. L'homme a le droit de douter, mais ce n'est pas obligé ;
16. L'homme a le droit d'être heureux ;
17. L'homme a le droit d'être malheureux ;
[…]
21. L'homme a le droit d'apprécier sa propre petitesse et sa grandeur ;
22. L'homme n'a pas le droit d'avoir des vues sur l'éternité ;
23. L'homme a le droit de comprendre ;
24. L'homme a le droit de ne rien comprendre du tout ;
25. L'homme a le droit d'être d'une nationalité différente ;
[…]
33. L'homme a le droit de pleurer ;
34. L'homme a le droit d'être incompris ;
35. L'homme n'a pas le droit d'en rendre un autre coupable ;
36. L'homme a le droit d'être un individu ;
37. L'homme a le droit de n'avoir aucun droit ;
38. L'homme a le droit de ne pas avoir peur ;
39. Ne conquiers pas ;
40. Ne te protège pas ;
41. N'abandonne jamais. » (pp. 156-157)

« Les activistes [de Greenpeace s'étant emparés de l'îlot de Rockall disputé par le Royaume-Uni, l'Irlande, l'Islande et de Danemark afin de revendiquer des droits d'extraction d'hydrocarbures sous-marins] lisent la proclamation d'indépendance suivante :
"Nous refusons la souveraineté d'un État qui prétend être préoccupé par le changement climatique, tout en encourageant la prospection pétrolière. Waveland est un nouveau type d'État, qui entend protéger les biens communs à l'échelle planétaire au lieu de les exploiter. Nous le considérons comme le début d'une révolution pacifique. Waveland exprime le droit de tout individu à récuser un gouvernement destructif, pour le remplacer par une autorité qui place l'environnement avant toute forme de profit." (p. 260)

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