Le plus grand mérite de cette étude – qui n'est « pas une œuvre de vulgarisation » – réside dans le fait que son auteur n'est pas un psychanalyste : à regarder l'ensemble de sa production, il paraît surtout s'être occupé d'ésotérisme, d'occultisme et de franc-maçonnerie ; ainsi, il retrace ici une histoire de la pensée qui, depuis l'Antiquité grecque, a problématisé le dualisme âme-corps. Naturellement, la révolution freudienne, la vie et l’œuvre de Freud, de sa fille et de ses disciples occupent une place prépondérante dans l'ouvrage. De même, les notions principales de la discipline sont abordées et expliquées de manière claire et succincte au cours des cinq parties (sans que la table des matières en porte la trace) avec parfois des renvois et des mises en perspective très opportunes lorsque la chronologie se mêle à l'approfondissement des penseurs – jusqu'à Jacques Lacan, Maud Mannoni, et même Georges Devereux – ainsi que de deux thèmes spécifiques : la psychanalyse des enfants et « L'analyse et vous », sorte de vade-mecum pour un futur analysant.
La psychanalyse est présentée comme une « pensée en mouvement » qui devrait être le contraire d'une doctrine figée, d'un dogme : lorsqu'elle le devient, cela représente une phase de stagnation voire de déréliction. La grandeur de Freud apparaît dans sa méthode scientifique, qui inclut le doute, la remise en question, l'aveu de ses erreurs et de ses limites. Parmi ces dernières, l'auteur en met en évidence une qui semble avoir apparu dès les débuts du cénacle psychanalytique : la connaissance de soi mène à la critique sociologique : cf. Alfred Adler et Wilhelm Reich. Ce qui, malgré la dialectique inévitable entre forces centripètes et centrifuges au sein de l'« école psychanalytique », semble par contre avoir été assez consensuel, au moins dans la conception européenne de la psychanalyse, c'est l'irréalité de la dichotomie : « normal » vs. névrosé, la relativité de celle entre névrose et psychose même vis-à-vis de la relation avec le réel. Il s'ensuit l'opportunité de revoir et de reconsidérer aussi les notions de thérapie, et surtout de guérison.
Table :
I
La connaissance de soi avant la psychanalyse
Les précurseurs des temps modernes
Conclusion
II Freud, sa vie, son œuvre
Le milieu et l'enfance
Enfance et adolescence
L'étudiant et le jeune homme
Le combat pour la vérité
La pensée en marche
Conclusion
III Freud, sa fille, ses disciples
Anna Freud, la préférée du père
Carl Gustav Jung (1875-1961)
Alfred Adler (1870-1937)
Wilhelm Reich (1897-1957)
Les autres amis et disciples de Freud
Conclusion
IV La psychanalyse des enfants
Qu'est-ce qu'un "enfant"
La connaissance des enfants par la psychanalyse
Le problème de l'environnement
Les problèmes les plus fréquents
Conclusion
V L'analyse et vous
Avant l'analyse
Pendant l'analyse
Cit. :
1. « Être à la fois sujet et objet. L'invitation de l'oracle : "Connais-toi toi-même, et tu connaîtras l'univers et les dieux" signifie que la connaissance objective doit passer par la connaissance subjective. On comprend qu'elle développe la formule de Protagoras : "L'homme est la mesure de toute chose". Mais elle dépasse le niveau d'une affirmation péremptoire qui ne débouche sur rien, si ce n'est un constat d'impuissance ou la perspective d'une impasse.
Elle dépasse ce niveau parce qu'elle propose une méthode, un programme. Elle dit ce qu'il faut faire pour avancer. La connaissance de soi est, chez Socrate, posée comme féconde. Elle se dépasse elle-même, elle est communicable, elle donne accès à des vérités supérieures. » (p. 30)
2. « La ressemblance entre l'oubli des impressions reçues en état d'hypnose et l'oubli causé, dans la vie courante, par des faiblesses de la conscience est une observation à partir de laquelle il [Freud] va plus loin. Il expliquera, et il sera le premier à le faire, pourquoi se produisent ces moments de faiblesse de la conscience. Il expliquera ce qui se produit lorsque les souvenirs oubliés reviennent en surface. Il créera une méthode plus élaborée que celle de Breuer. Le refoulement, le transfert, le contre-transfert, le sur-moi, la censure, le complexe deviendront, grâce à ses recherches, des notions plus précises, assez précises pour être intégrées dans une action thérapeutique efficace... et aussi dans une manière de voir le monde. » (p. 94)
3. « La compréhension de l'homme se nourrit nécessairement d'une analyse critique du système social. Cette analyse critique remet nécessairement en question les "valeurs" qui permettent à un système social de perdurer.
Freud sera conduit, par ses propres recherches, à s'occuper de sociologie et de mythologie. La psychanalyse, en évoluant, devra prendre en compte une réflexion globale sur l'action réciproque des mythes et des comportements. C'est la raison pour laquelle la psychanalyse sera violemment combattue par les personnes qui refusent de critiquer la société. […] Mais c'est aussi, probablement, un moyen utile parmi d'autres de construire une organisation sociale plus éclairée et plus fraternelle. Freud […] n'osera pas formuler les conséquences extrêmes de ses découvertes. Lui-même, assez conservateur et respectueux de l'ordre établi, sera gêné par ce qu'il verra, comme il a été le premier "choqué" par la découverte de la sexualité infantile. » (p. 106)
4. « Il s'agit de ne pas recevoir d'information susceptible de remettre en cause sa propre valeur.
L'inconscient devient alors la "poubelle" ou la "prison" qui permet au conscient de se débarrasser (refouler) de ce qui le gêne. Il est intéressant à ce propos de remarquer que la société fonctionne comme le cerveau : elle refoule les éléments gênants. […] Ses égouts et ses prisons correspondent à l'inconscient et ont la même fonction. La névrose et la psychose relèvent du même mécanisme de non-adaptation à la réalité. » (p. 174)
5. « Que nous soyons pour ou contre la psychanalyse (ou autre chose), nous le sommes pour des raisons profondément personnelles, pour protéger et entretenir des images qui nous sont chères. Mais l'avantage de la psychanalyse en particulier et de la psychologie en général consiste en ceci : elle nous enseigne :
que nous mentons à nous-mêmes et aux autres ;
que nous négocions ainsi notre relation avec le réel ;
que cela est normal et que, le sachant, on peut éventuellement se sentir mieux en mentant moins. » (p. 203)
6. « Dans les hôpitaux psychiatriques classiques, les malades ne guérissent pas ou guérissent mal parce qu'ils savent que le monde leur est hostile. Ils ne sont pas aimés. Ils sont traités comme des êtres inférieurs. Ils subissent des traitements de choc. On leur donne à manger "pour se nourrir", on les lave "pour qu'ils soient propres", et on ne tient pas compte de l'aspiration légitime d'un être humain : goûter le plaisir. Il n'est pas étonnant, alors, que le malade ne désire pas sortir de son univers intérieur et devienne le conservateur de sa propre maladie. » (pp. 238-239)
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