Ponfilly est le réalisateur du documentaire « Massoud l'Afghan » : son amitié personnelle pour le célèbre résistant, son amertume pour la myopie des diplomaties occidentales de refuser de soutenir cet homme au lieu des Talibans pendant l'invasion soviétique entraînant les conséquences que tout le monde connaît, sa tristesse devant le meurtre dont il a été victime de façon presque synchronique avec l'attentat du 11 Septembre 2001, ont conduit le reporter-cinéaste dans le pays d'origine de son ami disparu, le Tadjikistan, pour y filmer des femmes. Il est probable que, en cette année 2003 où il a commencé à tourner, à défaut de pouvoir le faire en Afghanistan, il avait à l'esprit une comparaison entre la condition féminine dans ce pays soviétisé socialement et économiquement jusqu'en 1990 et celle, déplorable, que les femmes afghanes vivaient surtout depuis la guerre civile qui a suivi l'invasion soviétique.
C'est accompagné de Gulya Mirzoeva, cinéaste franco-tadjike vivant à Paris et frappée de plein fouet par une dépression identitaire, Gulya collaboratrice inestimable à la fois comme traductrice, comme pourvoyeuse de contacts avec les femmes tadjikes et comme intermédiaire avec les autorités corrompues d'une dictature fortement répressive, que l'auteur a réalisé ce journal de tournage, périple à travers le petit pays montagneux d'Asie Centrale, scandé par des rencontres au fil de situations parfois inattendues, souvent très intéressantes.
Ponfilly découvre un Tadjikistan exsangue après sa propre guerre civile (1992-1997) entre le vétéro-pouvoir néo-communiste/néo-capitaliste et des mouvements sécessionnistes islamistes, sans doute contrôlés par les Talibans du pays voisin, économiquement disloqué par la désintégration post-soviétique, vivant sous perfusion des ONG et des organisations internationales, dont les femmes sont presque seules en charge de la survie collective car les hommes ont soit été tués en guerre, soit émigré en Russie pour y trouver du travail, dans un déséquilibre démographique et économique qui fait qu'elles acceptent de convoler comme quatrième, voire cinquième ou même sixième épouse des rares nantis (quand elles ne s'immolent pas par le feu), au sein d'une société où le virilisme et le traditionalisme religieux sont en pleine renaissance et la natalité est très élevée malgré tout.
Les femmes qu'il filme appartiennent à tous les milieux sociaux et professionnels : urbaines et rurales, de la balayeuse des rues de Dushanbé à la Vice-premier ministre, de la styliste avec ses mannequins à la femme mollah, de la fondatrice et directrice d'un orphelinat à la vendeuse de « pilules du bonheur » par un système de ventes à domicile genre Tupperware, aux mariées rencontrées par hasard jusque sur les sommets du Pamir. Si au départ il envisageait de centrer son documentaire sur le personnage de Gulya, sa famille, ses peines dans sa démarche sans succès pour la ré-obtention de la nationalité tadjike perdue par l'acquisition de la française, le film et le livre consistent enfin dans une galerie de personnages féminins rencontrés volontairement ou épisodiquement.
Les situations, au-delà de leur intérêt spécifique, sont-elles suffisamment représentatives pour offrir un paysage propre au pays ? Il me semble que non. Peut-être le montage du film est-il à même, par la sélection et à force de coupures, de révéler les spécificités d'un lieu et d'une époque, mais assurément le journal du tournage, avec les aveux de son auteur encore confus sur la qualité de ses images et la représentativité de ses rencontres n'y parvient pas. De plus, le texte est garni d'un très grand nombre de photos – une ou même plusieurs sur presque chaque page – dont la qualité laisse franchement à désirer : peut-être sont-elles simplement mal imprimées, malgré le charme du noir et blanc, mais souvent je me permets de les trouver techniquement médiocres également au niveau du cadrage ainsi que de la luminosité des sujets : cela semble incroyable pour un cinéaste, mais peut-être est-il difficile de transformer un photogramme de vidéo en photographie de qualité. Enfin, même si le choix d'écrire un journal de tournage peut empêcher d'approfondir la réflexion sur ce que l'on est en train de filmer, j'ai ressenti comme un manque grave une insuffisante compréhension de la réalité locale, comme si le livre n'atteignait pas le niveau d'un reportage ni d'un ouvrage de littérature de voyage bien écrit, bien documenté, bien référencé.
Cit. : L'énigme de la femme mollah qui lance des sorts.
« Il était une fois une femme légère. Toutes les nuits, elle changeait d'homme. Elle avait un voisin. C'était un homme religieux. Ni femmes, ni enfants n'entraient dans ses pensées. Il était toujours sur son tapis de prière et il passait son temps à prier. Un jour, il a frappé à la porte de cette femme en pensant qu'elle avait déjà renvoyé son client. Elle était encore occupée. Le religieux a regardé et il est devenu envieux. Le temps a passé. La femme légère et l'homme religieux sont morts tous les deux. De la tombe du religieux sont sorties deux grosses épines. La tombe de la femme, elle, n'a cessé d'être recouverte de fleurs. Pourquoi ? » (pp. 185-187)
----
[Recherchez la page de l'auteur de ce livre sur
Wikipedia]