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[Anthologie du chamanisme | Jeremy Narby, Francis Huxley]
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Posté: Dim 19 Juil 2020 13:40
MessageSujet du message: [Anthologie du chamanisme | Jeremy Narby, Francis Huxley]
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Anthologie du chamanisme, Albin Michel 2009 (2002), 978222619191090, terminé le 15/07, 4*

Qu'avons-nous compris, nous autres, Occidentaux, du chamanisme, au fil des siècles ? C'est la question à laquelle ambitionne de répondre cette anthologie rassemblée par deux illustres ethnologues. Sur une durée de cinq siècles, par des textes d'environ soixante auteurs tantôt très célèbres, tantôt inconnus ou bien oubliés, disposés quasiment en ordre chronologique et répartis dans une scansion rigoureuse et éclairante en sept parties, on peut parcourir en parallèle deux fils conducteurs : la compréhension, toujours plus fine, nuancée, complète et distinctive, du phénomène chamanique partout dans le monde, mais aussi l'histoire de nos moyens d'acquérir et de mettre en forme discursive une connaissance radicalement autre, longtemps impensable. Je ne saurais dire lequel de ces fils conducteurs m'a le plus intéressé, à moins que ce ne soit justement leur dialectique, dans la mesure où elle constitue un emblème de ce qu'une sémiologie particulière permet ou bien empêche d'atteindre comme quantité et qualité d'intelligence. En outre, si une familiarité préalable avec le chamanisme facilite assurément le repérage de certains thèmes-clefs qui émergent de ces textes – contrairement à d'autres qui sont passés sous silence, sans doute considérés comme moins représentatifs d'une époque ou moins probants de l'état d'esprit du chercheur ou de son époque – il faut avouer que cette connaissance n'est pas du tout indispensable : ni pour apprécier la démonstration, ni pour se faire une idée assez complète du chamanisme et des enjeux qui, encore aujourd'hui, nous semblent les plus difficiles à comprendre, les plus éloignés de notre propre vision du monde.

Sommaire [brièvement commenté] :

- Première partie : « Le point de vue chrétien : "des ministres du Démon" », comprend 4 textes, datés entre 1535 et 1672, dont les auteurs étaient des hommes d'Église soucieux d'évangélisation et d'éradication de toute pensée (et pratique) hétérodoxes.
- Deuxième partie : « De "jongleurs estimés" à "imposteurs" : la vision humaniste devient rationnelle », comprend les textes numérotés 5-9, datés 1724-1785, dont un par Diderot (1765). Bien que les Lumières dénoncent partout l'obscurantisme et la crédulité, a fortiori chez l'Autre, le dernier texte (cf. cit. 1 infra) montre une transition vers un effort de compréhension par l'empathie.
- Troisième partie : « Les anthropologues entrent dans la danse », comprend les textes 10-19, datés 1871-1914, dont deux par le grand anthropologue Franz Boas. La démarche s'efforce de se faire scientifique notamment par des tentatives de définition (qu'est-ce qui est et qu'est-ce qui n'est pas du chamanisme ?), et par les premières réflexions méthodologiques du savant sur sa posture d'observation.
- Quatrième partie : « La compréhension s'approfondit », comprend les textes 20-33, datés 1929-1962. Apparaissent les noms illustres de Knud Rasmussen, Alfred Métraux, et Claude Lévi-Strauss avec une contribution essentielle de 1949 : « Chamanes et psychanalystes » (cf. cit. 2). Un texte de Georges Devereux de 1956 fait hélas un peu figure d'arrière-garde... Nous assistons là à deux grandes nouveautés : les études de cas spécifiques, et la parole laissée explicitement à l'Autre.
- Cinquième partie : « Les observateurs se mettent à participer », comprend les textes 34-40, dont les deux premiers remontent à la fin des années 1950 (dont le célèbre témoignage de Gordon Wasson, 1957), mais qui s'étendent globalement sur les décennies 70 et 80, bien que Bronislaw Malinowski ait théorisé la méthode de l'observation participante dès les années 10. La participation des observateurs a pour effet, naturellement, de prendre les chamanes au sérieux.
- Sixième partie : « Récolte de données sur un phénomène protéiforme », comprend les textes 41-51, datés 1967-1994. Désormais il n'est plus question d'évolution chronologique. Ces textes reflètent la sophistication scientifique actuelle ; néanmoins leurs auteurs renoncent – sans doute suite à la publication de l'immense traité de Mircea Eliade – à traiter du chamanisme au singulier, ils privilégient les spécificités d'un terrain de recherche particulier ou bien d'un thème circonscrit.
- Septième partie : « La culture globale et le savoir indigène s'attirent et se repoussent », comprend les textes 52-64, datés, pour la plupart, des années 1990 (exception faite de « Science et magie : deux voies de connaissance » par Claude Lévi-Strauss, 1962). Ces articles sont caractérisés par l'enchevêtrement ou l'interconnexion entre le global et le local.



Cit. :


1. « Les voyageurs les plus distants ont été étonnés devant de telles jongleries, parce qu'ils ont vu des succès de la force de l'imagination qu'ils pensaient à peine possibles, et qu'ils ne savaient pas expliquer. En effet, parmi toutes les forces de l'âme humaine, l'imagination est peut-être la moins explorée : étant donné son lien avec la construction du corps entier et en particulier du cerveau et des nerfs comme de nombreuses et étonnantes maladies le démontrent, il ne semble donc pas seulement être le lien pour, et la base de, toutes les forces subtiles de l'âme, mais aussi le nœud des relations entre l'esprit et le corps, de même que la fleur bourgeonnante de toute l'organisation des sens pour les autres utilisations des forces de la pensée. » (Johann Gottfried Herder, 1785, cit. pp. 49-50)

2. « Au cours de la première moitié du XXe siècle, les anthropologues se mirent à écouter attentivement les chamanes et à enregistrer ce qu'ils avaient à dire sur eux-mêmes. C'est à partir de là que leur compréhension du phénomène s'est approfondie.
Pendant toute cette période, les anthropologues et les ethnopsychiatres débattirent de la santé mentale des chamanes. Claude Lévi-Strauss sembla mettre un terme à la polémique en allant jusqu'à en renverser la logique, affirmant que le chamanisme tenait davantage du domaine psychanalytique que du domaine psychotique. Le débat continua néanmoins à faire rage. » (Auteurs, incipit de la 4e partie, p. 87)

3. « C'est vrai que Wasson et ses amis ont été les premiers étrangers qui sont venus dans notre village en quête des "enfants sacrés" [les champignons hallucinogènes], et qui ne les prenaient pas pour guérir d'une maladie. Leur raison était qu'ils venaient trouver Dieu.
[…]
Le jour où pour la première fois j'ai fait une veillée devant des étrangers, je n'ai pas pensé qu'il pouvait en sortir quelque chose de mal […] Mais qu'est-ce qui s'est passé ? Eh bien, que beaucoup de gens sont venus chercher Dieu, que sont venues des personnes de toutes les couleurs, de tous les âges. […] Mais à partir du moment où les étrangers sont arrivés pour chercher Dieu, les "enfants sacrés" ont perdu leur pureté. Ils ont perdu leur force, on les a gâchés. Désormais, ils ne feront plus d'effet. On n'y peut rien. » (Maria Sabina interviewée par Alvaro Estrada, 1977, cit. pp. 175-176)

4. « Les enfants du monde entier connaissent ce jeu qui se trouve à l'origine même du chamanisme – ce désir de retrouver la sensation joyeuse de la perte de moi. L'humanité entière la recherche dans sa soif inextinguible d'amour, dans le chant, la danse, les rêves ou dans la spirale de la dépendance de l'alcool et des drogues. Tous, quoique dilués, sont des états qui nourrissent la transe ou qui s'y apparentent. La transe n'est donc pas un état particulier ou exceptionnel. Toute notre vie émotionnelle se concentre sur un seul point : atteindre l'apogée, l'expérience du flux ininterrompu, dans lequel les mécanismes compulsifs ou rationnels qui lui font constamment barrage sont mis hors circuit. » (Holger Kalweit, 1987, cit. p. 192)

5. « Une fois que tout le monde eut parlé, le directeur aguaruna de l'école nous remercia de notre visite et dit : "Ici, en Amazonie, notre connaissance a souvent été prise par d'autres sans que nous n'en retirions aucun bénéfice. Maintenant, nous aussi, nous aimerions pouvoir y trouver quelques avantages." Il indiqua qu'un accord compensatoire pour le savoir fourni par les indigènes se devait d'être signé avant que toute recherche ne soit poursuivie.
Cette expérience semblait donc indiquer que les scientifiques peuvent apprendre des choses en travaillant avec des chamanes amazoniens indigènes.
Certains observateurs ont suggéré que nous assistons à la fin du chamanisme selon sa définition classique. Mais la rencontre entre chamanes et scientifiques ressemblait plus à un commencement. » (Jeremy Narby, 2000, cit. p. 323, excipit de l'anthologie).

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