« L’écart est un privilège inestimable ».
Si l’écrivain Guy Féquant est Barbyon de naissance, il ne renie pas ses racines ardennaises mais il sait se désirer joyeusement ailleurs afin d’inventer sa vie à mesure qu’elle s’écoule, dans la majesté des arbres et la fraîcheur des sources : « Rien n’est à renier mais tout est à dépasser ». Ses « Carnets nomades » griffonnés au coin d’une table ou sur les marches d’une église, entre 2014 et 2019, relatent des pérégrinations fécondées par le songe qui n’est pas un rêve, trop « nunuche » au goût de l’auteur, trop « divaguant » mais une pensée en mouvement nourrie par l’imaginaire et le réel entrelacés : « Le songeur chemine dans sa pénombre avec un flambeau allumé ». Au « Journal des clairières » en trois parties constituant l’ossature des « Carnets nomades » s’adjoignent des textes plus éloignés dans la chronologie « Jours anciens à l’île Bourbon » (1995) ainsi que des « Notes perdues puis retrouvées » (1977-2010). D’autres textes épars s’insèrent dans le corpus et voguent de l’Italie toscane aux Pyrénées béarnaises, de Megève au Cantal, de Prague à Barby, en Ardennes, dans un texte inaugural particulièrement touchant car l’auteur y relate en mots simples son enfance et son désir d’ailleurs déjà. Son éducation par le garde champêtre du coin, tour à tour sonneur des cloches et fossoyeur, est décisive. La culture prodiguée par le « surveillant du bocage » à l’enfant tout ouïe n’entrave pas le travail manuel : « On voyageait ensemble au cimetière. Et pendant ce temps le trou s’approfondissait ». Le dilemme est posé : étudier et tourner le dos à la vie ou plonger à corps perdu dans l’existence car le temps a l’allant d’un compte à rebours. Comment être présent au monde ? Si cette antienne est vieille comme l’humanité, elle n’en constitue pas moins le sel de l’œuvre du professeur d’histoire retraité, ébloui par l’île de la Réunion découverte dans son parcours professionnel. L’île volcanique posée dans l’Océan Indien ne peut laisser personne indifférent : paysages, lumières, histoire, odeurs, couleurs, rencontres, etc. Inévitablement, l’imprégnation fait le lit de la nostalgie. Guy Féquant sait heureusement faire feu de tout bois et trouver sa provende dans tous les lieux enchantés qu’il traverse et nourrit de son regard habité : « Au loin, l’horizon marin était vert, exactement de la couleur des toitures de la cathédrale de Chartres quand on les observe sur fond de ciel orageux ». En mettant en sourdine ses voix intérieures pour s’imprégner du silence de la nature, en simplifiant ses mots pour atteindre une véracité qui tienne la route, loin des écrits ineptes et vains de sa jeunesse : « J’étais lourd et je me croyais brillant », Guy Féquant acquiert « l’opacité de la transparence » et aimante le regard fraternel du lecteur dans l’incise de ses trajectoires éphémères.
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