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[Camarade Papa | Gauz]
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apo



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Posté: Sam 14 Mar 2020 17:51
MessageSujet du message: [Camarade Papa | Gauz]
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Dans cet étonnant roman s'alternent deux récits qui se croiseront dans la chute, sans oublier les « légendes » intercalaires, indispensables pour comprendre l'Histoire et l'hybridation des histoires : celle d'un petit garçon, le fils de Camarade Papa qui, après que sa Maman est partie dans le paradis socialiste du camarade Hodja, est envoyé par celui-ci d'Amsterdam auprès de sa famille maternelle en Côte-d'Ivoire ; celle de Maxime Dabilly qui, devenu orphelin, quitte Châteauneuf et débarque, le 5 septembre 1893, sur les rives de la Côte de l'Ivoire qu'il contribuera activement à rendre colonie française. Le petit garçon, chargé par Camarade Papa de la mission de fomenter la lutte émancipatrice des masses laborieuses jusque dans la classe révolutionnaire de « l'École Primaire Publique (EPP) Assikasso 2 » [!], voit le monde et l'exprime comme le héros de La Vie devant soi de Romain Gary : longtemps lui manquera la figure maternelle de Yolanda, « vendeuse de bisous » dans une vitrine du quartier de Oude Kerk, aux opulents « bonbons pour messieurs ». Le jeune Dabilly ne parle pas la même langue que le chercheur d'or Dreyfus, le docteur Péan, les négociants Dejean et Fourcade ni même celle du Résidant Marcel Treich, tous vivant du crédit symbolique de l'ancien Résident de France et commerçant Arthur Verdier : lui, il apprend l'agny du cuisinier Eugène Cébon, alias Kouamé Kpli, prince de Krinjabo « cadeau personnel du roi à Arthur Verdier ». Ainsi sa pérégrination aventureuse destinée à tracer les contours de la future colonie française, dans une course contre la montre l'opposant à la brutalité conquérante des Anglais, et son installation sur les hauteurs d'Assikasso, bien que caractérisées par les mêmes périls naturels et le même jeu de dupes (réciproque) avec la population locale de celles des autres colons légèrement négrophiles ou ouvertement négrophobes, sont placées d'emblée sous les auspices de la compréhension et du respect mutuels, jusqu'à faire de lui « au agent-symbole au service de deux civilisations en copulation » (p. 241). Cette union des chairs et des valeurs et des légendes ne pourrait avoir lieu sans l'intervention magique et amoureuse de ce magnifique personnage féminin qu'est Adjo « Salgass », épique et poétique jusqu'à émouvoir.
La qualité d'inventivité des langues, dans ce roman, est son premier mérite, et celui qui apparaît d'emblée ; la subtilité des entrecroisements des voûtes de son architecture se révèle progressivement : de la prégnance de la disparition des mères dans cette généalogie, jusqu'à l'évidence du jargon marxiste du petit garçon, qui ne relève pas d'un banal manifeste anti-colonial. Une vision complexe de l'humain et de l'Histoire, plus humaniste, fondée sur des valeurs communes d'appartenance à sa généalogie, à son territoire, sur un code d'honneur et, dans la mesure rendue possible par les circonstances, sur un effort d'égalité ressort de ce livre et de ses personnages principaux.


Cit. :

1. « Il en profite pour sauter sur les aventures du Léopold numéro 2, roi des Belgicains et saigneur du Congo. Je suis heureux parce que dans ce wagon, pour la première fois, Camarade Papa et moi on passe ensemble suffisamment de temps pour qu'il m'enchaîne les oreilles des Philips, des Tulipes, de Commune-de-Paris et des colonies infernales d'Afrique et d'Asie. Quand passe le contrôleur de billets, authentique suppositoire du grand capital, l'histoire du Congo en est au complot international contre le vendeur de bière Lumumba. L'Afrique m'a toujours fait peur. En plus du sang renversé à la colonisation, Camarade Papa il parle toujours d'enfer d'aliénation. Je finis par croire qu'en Afrique, il n'y a que des diables et des fous... » (p. 60)

2. « - Pénélope n'existe pas, ici. La femme suit Ulysse, elle ne l'attend pas. La jeune dame de l'autre soir...
- Il ne s'est rien passé.
- Je ne doute pas du chevaleresque en toi. Qu'il ne se soit rien passé est tout à ton honneur. Et l'honneur est la valeur la plus séduisante pour une femme agny. Ce matin, tu as bien remarqué qu'elle était entièrement couverte ?
- Oui.
- As-tu remarqué qu'elle était en blanc ?
- Oui.
- Urbi et orbi, elle clame que sa matrice est inviolée depuis sa naissance, qu'elle aussi est une femme d'honneur qui a fait son choix. Et je crois qu'il n'y a pas de mystère autour de qui elle désigne comme son choix, messire Dabilly.
- …
- Krinjabo, notre première étape, est son village natal. Elle y est une personne d'importance et pas seulement parce qu'elle est de la famille royale. Mais je pense qu'elle va continuer plus loin avec nous, avec toi. » (pp. 135-136)

3. « D'obédience Yafoun ou d'allégeance Éhiwa, toutes les familles d'importance reçoivent un paquet sanguinolent assaisonné de : "La France ne veut pas que sèche votre bouche, le commandant vous fait profiter de son adresse !" La formule vient de Boidy. Une "bouche sèche" est d'une si grande pauvreté qu'elle ne connaît jamais le gras d'un morceau de viande. La première partie de la phrase est une promesse de prospérité. La seconde est plus sibylline. Un fusil qui est adroit dans les champs l'est aussi sur le champ de bataille. Le cadeau est emballé d'une promesse de prospérité et d'une formule de menace. » (p. 199)

4. « Notre rencontre est scellée depuis La Rochelle. Elle m'enlace, m'étreint. Un tourbillon m'aspire dans le portail de ses délires. Père romain et sa morve ultime, mère avalée dans un nuage de talc, vagues déferlantes de piments, usines dragons, cloîtres éventrés, Chassepot caméléons, plage chantante, horizon dansant, nègres vibrionnants, coloniaux démiurges, horde indolente, forêts sorcières, moustiques vampires, tirailleurs cannibales, prince en marmite, interprète pantomime, crocodile iodé, crabes-tapis... et les tresses hirsutes, le ventre étoilé, la peau sans teint, la buveuse de lumière, les jambes fuseaux... Je suis à elle. La fièvre palustre est là ! » (p. 210)

5. « Elle part seule, sans se poser de question, sans en poser. On peut lui objecter la vieille superstition familiale interdisant la traversée de la rivière Tanoé à toute femme n'ayant jamais enfanté. Mais que vaut telle religion lorsqu'est en jeu la vie de son homme-destin, celui que la devineresse voit dans l'alignement des cauris jetés le jour de la naissance, celui que la prépubère chante dans les assemblées au clair de lune, qui apparaît dans les songes la nuit des premières menstrues. L'homme ignore tout de sa femme-destin, elle seule peut se révéler à lui. Adjo aperçoit le sien un matin où elle contemple la mer, assise sur une crête de la plage de Grand-Bassam. Elle passe son temps libre à scruter cet horizon bleu d'où est venu le sang qui coule en elle. "Nous sommes le fruit d'une histoire qui commence avant nous et ne s'arrêtera pas", lui dit toujours sa tante Alloua. Penser aux ancêtres l'apaise. » (p. 226)

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