Note préliminaire. En 2017, lorsque parut chez Don Quichotte le recueil de nouvelles intitulé :
Ce qu'ils font est juste, ce titre même indiquait à quel point l'accueil et l'hébergement de demandeurs d'asile ou d'autres migrants était un acte de désobéissance civile dissident et potentiellement dangereux, ce qui correspondait en effet à quelques affaires judiciaires bien réelles en cours. Un an plus tard, un éditeur sans doute moins « politisé » que Don Quichotte, Calmann Levy, publie le récit autobiographique de la jeune mais déjà reconnue et prolifique romancière et poétesse Émilie de Tuckheim, alors que ce n'est pas son éditeur habituel. Le livre est la narration, sous forme de journal intime, de l'hospitalité que l'auteure et sa famille ont offerte à un jeune réfugié afghan, Reza, entre février et novembre 2017. Le statut de réfugié de Reza était reconnu par les autorités, il n'y a donc rien eu d'illégal dans sa démarche ; d'autre part, la réception des migrants dans l'Hexagone, de même qu'au niveau mondial, ne montre certes pas de signe d'amélioration, bien au contraire ; le politique continue d'être un facteur d'inhibition voire d'intoxication des bonnes volontés individuelles et collectives ; cependant, du point de vue strictement éditorial, il me semble intéressant de relever un changement si rapide.
Le récit réchauffe le cœur. Émilie, son mari et ses enfants sont des hôtes exemplaires, tout comme Reza est un hôte idéal. Aucun incident, aucune incompréhension, au contraire une infinité d'émotions, de partage de sentiments, d'attentions et de connaissances personnelles, bref d'amour familial et de sérénité sourd des pages de ce texte comme d'un conte. La découverte de Reza et de son parcours tragique se fait par petites touches et avec beaucoup de pudeur. Les sentiments apparaissent dans la tendresse de la suggestion et de l'ellipse. L'auteure dévoile ses larmes abondantes et quelques poèmes que cette cohabitation lui inspire. La prose elle-même, dans sa grande fluidité, dans la brièveté des fragments narratifs comme dans celle des phrases, dans certaines formules si bien trouvées – par ex. : « la question vole autour de nous et ne se pose jamais » ( p. 41) –, enfin dans l'intitulé joliment tourné des chapitres, indique une pratique constante et maîtrisée de l'écriture poétique. Peut-être ne sommes-nous plus habitués (en tout cas pas moi, et certainement pas dans ce contexte) à autant de douceur dans l'écriture de l'exil ni dans la description d'un intérieur familial si parfait. Y a-t-il surabondance d'optimisme, à l'instar de l'épisode de la maladie et guérison de l'angine de Reza, narré sous le titre : « Les jours heureux » ?
Je suis perplexe devant cette profusion de..., oserai-je appeler cela des « bons sentiments » ? Il semblerait qu'ils se retrouvent dans d'autres ouvrages de l'auteure, notamment dans ceux qui sont tirés de son expérience de visiteuse de détenus en prison. Cela m'empêche de donner une note synthétique (en étoiles) de cette lecture : qu'il me suffise de (me) rappeler à quel point elle aura été bienfaisante, réconfortante pour moi-même et pour le regard que, temporairement, j'ai porté sur les inconnus qui m'entouraient. Si l'on cherche « une lecture qui fait du bien », je ne saurais recommander cet ouvrage plus sincèrement.
Cit. :
« Notre lit est collé au mur, et celui de Reza se trouve juste derrière. De telle sorte que nos corps ne sont distants que de quelques dizaines de centimètres. Nos corps humains. Nos squelettes semblables. Nos deux cent six os identiques. Nous respirons. Notre sang circule. Nos cheveux poussent en même temps de part et d'autre du mur. Mais le corps de Reza, allongé si près de moi, sait ce que mon corps ne sait pas. Il sait ce que fuir veut dire. Avoir le corps pour seul abri. Avoir comme monde entier son propre corps. » (pp. 22-23)
« Reza avait cinq ans. Il savait ce qu'était la guerre, mais une grenade, il n'en avait encore jamais vu. Pendant des semaines, il n'a plus quitté sa grenade qui est devenu son jouet préféré. Un jour, il a fièrement montré son trésor à un oncle qui lui a arraché la grenade des mains. L'oncle a donné une grande gifle à Reza et jeté la grenade à la poubelle. Reza m'a dit d'un ton indigné : "Oncle fou ! Pas bien, grenade dans poubelle ! Jamais vous pose grenade dans poubelle !"
Je tiens ma raquette de badminton à la main et je me dis que je n'ai jamais réfléchi à cette question : Où jeter une grenade de guerre ?
Pas à la poubelle. Maintenant je saurai. » (p. 118)
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