Après la lecture de Thérèse Desqueyroux qui m'a enthousiasmé il y a quelques semaines, je me suis lancé dans celle du Noeud de vipères, m'attendant, je ne saurais dire pourquoi, à être un peu moins emballé. Ce ne fut pas du tout le cas ! Le nœud de vipères m'a tout autant captivé et enchanté que le "Desqueyroux". Si l'on résumait ce roman en disant qu'il s'agit des confessions écrites au seuil de sa mort par Louis, un vieil avare, pétri de dédain sinon de haine à l'égard des membres de sa famille (femme, enfants, gendre, petits-enfants) qu'il entend priver d'une part conséquente de son héritage, on ne ferait qu'effleurer de façon maladroite le sujet de ce livre, bien plus complexe que cela. Certes ce vieil homme, avocat de renom au barreau de Lyon, qui avoue sa passion pour l'argent, a réussi à liguer contre lui presque toute sa famille, une famille de la bonne bourgeoisie bordelaise. Mais le livre va nous amener peu à peu à réexaminer les jugements sommaires que l'on pourrait poser de prime abord et l'on va découvrir toute la complexité de ce personnage, à la recherche de sa vérité. François Mauriac, que l'on a vite fait d'étiqueter comme "romancier catholique" (et donc forcément homme de droite, conservateur), montre ici que les étiquettes sont bien souvent des leurres et que, si l'on se donne la peine de regarder ce qu'elles cachent, la réalité apparaîtra très différente et bien plus intéressante.
Je n'ai malheureusement pas le talent pour analyser cette œuvre – ce chef d’œuvre ! – dans toute sa profondeur et toutes ses dimensions. J'aimerais seulement parvenir à partager avec vous un peu de la richesse de ce livre : quand il est ici question d'héritage, ce n'est pas seulement de transmission de fortune dont il question. Il s'agit bien plus de la question de la filiation (*), de la transmission de valeurs, de tendresse, d'amour même, de la possibilité – ou de l'impossibilité – de partager, de communiquer avec les autres. C'est aussi de l'attachement à un terroir, ici les vignobles bordelais, dont nous parle Mauriac, lui-même très attaché, comme l'on sait, au domaine paternel de Malagar. Et bien-sûr de la recherche pour chacun de sa vérité (et non de la Vérité), de la difficulté à être honnête vis à vis de soi, à échapper à l'hypocrisie générale (dont les familles bourgeoises n'ont pas le monopole !), de la possibilité que l'écriture soit un moyen privilégié d'introspection, de recherche de cette vérité personnelle. Il me semble que dans ce roman (où un certain "docteur F." est rapidement cité), la psychanalyse s'inscrit de façon subliminale et éclairante, et cette confession de Louis sur le nœud de vipères qui représente tout à la fois sa famille et son cœur m'a fait penser à celle de Zeno, dans le roman "La conscience de Zeno" d'Italo Svevo. Une lecture qui va me pousser à poursuivre ma (re)découverte de François Mauriac.
(*) Cette recherche très contrariée d'un descendant pour Louis fait écho à l'absence de père dont a souffert Mauriac.
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