En 1898, Twenty-Mile, bourgade moribonde, située au milieu de nulle part, accrochée aux Medicine Bow Mountains, dans les Montagnes Rocheuses, propose encore le minimum syndical aux derniers mineurs s’esquintant sur l’ultime filon argentifère. Quand ils débarquent en ville, le samedi, ils se rabattent sur la nourriture roborative de la famille Bjorkvist, propriétaires de l’unique auberge, sur les trois prostituées (Queeny, Frenchy, Chinky) de l’hôtel de passe géré par Delanny, sur les baignoires récurées du Professeur Murphy, barbier de son état, sur le Grand Magasin tenu par les Kane, père et fille. La loi et la justice ont plié bagages avec les départs du juge et du marshal. Livrés à eux-mêmes, les rares habitants s’épient, se jalousent et s’évitent, cherchant à extirper encore quelques profits sur le dos fourbu des mineurs. Un jour, débarque le jeune Matthew Dubchek, prompt à sourire, à louer ses services, à discuter au-delà des attentes. A force, Matthew réussit à passer d’infranchissables barrières sociales et mentales, se faisant accepter bon gré, mal gré. Nanti d’un fusil massif et meurtrier, Matthew semble aussi supporter et fuir un passé pesant. Quand un trio de tueurs patentés, évadés du pénitencier de Laramie, atteignent à leur tour Twenty-Mile dans le but avoué de faire main-basse sur l’argent de la mine et dans la perspective floue de constituer une armée de patriotes xénophobes sous la bannière d’Hamilton Adams Lieder, « leader » des trois « grains de folie » en cavale, la vie moisie du bled en perdition va choir dans l’enfer déjanté de la perversité et de la violence.
Bien que l’auteur cherche à utiliser les codes du western en s’appuyant sur des faits réels, il compose un roman où la fiction prédomine et situe l’action dans une utopie atemporelle. Le western n’existe qu’aux franges du récit ; le genre n’a pas d’effet sur l’intrigue et la résolution des conflits. Trevanian livre une histoire exceptionnelle racontée avec un art consommé du dialogue et du suspense. Le lecteur entre de plain-pied dans un récit qu’aucune scorie ou affèterie ne viendront plomber. Le ricanement, le sourire et l’amusement cèdent progressivement la place à la stupeur, l’effroi et l’hébétude. L’auteur use de l’ellipse et du non-dit avec maestria, densifiant toujours davantage des personnages particulièrement inquiétants. Lieder tient le haut du panier. Sa lucidité n’a d’égal que sa perversité. Capable de jauger les hommes, il sait les manipuler et les assujettir à sa guise, révélant leurs peurs et leurs couardises. Avec des individus comme le barman Jefferson Calder ou le prédicateur Leroy Hibbard, le lecteur pense toucher à la boue quintessentielle des turpitudes humaines ainsi qu’à la lâcheté la plus crasse, celle qui est sertie dans la boniment et la fanfaronnade. La dernière œuvre de Trevanian (1931-2005) publiée en 1998 est un chant du cygne particulièrement mélancolique en phase avec les remarquables Shibumi (1979) et The Main (1976).
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