Des Bédouins dans le polder est le titre d'un recueil d'anecdotes « tragi-comiques », aussi réelles que peuvent l'être des histoires après avoir été plusieurs fois contées, sur l'émigration des Marocains aux Pays-Bas. L'auteur, qui vit depuis plusieurs décennies entre Paris et Amsterdam, les a entendues ou en a été témoin direct. La prose est presque uniformément humoristique, les textes ont d'ailleurs la forme du bon mot, d'une longueur de deux ou trois pages au plus. La seule exception, remarquable, à l'ironie, est celle des textes qui, dans le chapitre concernant la religion, ont trait à la radicalisation islamiste (cf. infra 3e cit.). Néanmoins, tous les sujets traités ont également une gravité certaine, et il ressort de l'éloignement, pour le lectorat francophone, du contexte hollandais dont on se fait l'idée d'une tolérance pluriséculaire et d'une liberté de mœurs enviable, que celui-ci n'est pas exempt des problèmes de réception de « chez nous » : le racisme, la ségrégation sociale, les irrationalités du judiciaire, les absurdités administratives, les préjugés des média et de l'opinion ; d'autre part, les problèmes d'insertion et d'intégration des migrants marocains là-bas semblent identiques à ceux que nous connaissons en France et ailleurs en Europe. Dans son humour, l'auteur ne se prive pas, bien entendu, d'émettre ses critiques des uns et des autres, dans la meilleure tradition... hollandaise d'un certain Érasme, dont on trouverait d'autant plus d'influences en y regardant de plus près. La culture de Laroui et son rationalisme lui permettent de surcroît le détachement et le fameux sourire voltairien. Et cette bonne humeur, par bonheur, est contagieuse.
Cit. :
« À l'époque, j'ai eu la curiosité d'aller voir le genre de questions que ce "test d'insertion civile" pouvait contenir. En voici quelques-unes :
"Vos voisins ont mis la musique très fort. Que faites-vous ?"
Il n'y a que trois réponses possibles :
a – j'appelle la police,
b – j'appelle mon avocat,
c – j'appelle une ambulance.
La bonne réponse est a (j'appelle la police). Mais tous les Marocains que j'ai interrogés estiment qu'il devrait y avoir plusieurs autres possibilités :
d – je vais acheter un pain de sucre, je l'offre aux voisins et je me joins à la fête,
e – j'appelle mes cousins Rahid, Farid et Mimoun et on casse la gu... aux voisins,
f – je mets du raï dix fois plus fort. Ma chaîne hi-fi est bien plus puissante que la leur. Rira bien qui rira le dernier. » (p. 38-39)
« Il fut un temps – disons, de la chute de Constantinople jusqu'à dimanche 26 novembre 2006 – où les choses étaient simples : être Blanc, c'était bien ; être Noir, moins bien ; et être Arabe, c'était l'abomination de la désolation. Tout cela était un peu injuste, certes, mais c'était les types les plus forts qui l'affirmaient, il fallait bien les croire. Il y a un demi-millénaire, ces costauds disposaient d'arbalètes, aujourd'hui ils alignent dix mille têtes nucléaires, mais c'est tout comme : techniquement, ils ont une longueur d'avance sur nous, pauvres métèques, et nous sommes réduits à quia. » (p. 91)
« Où l'on voit un paradoxe de l'intégration : quand on refuse de raser les murs puisqu'on n'est plus tout à fait un étranger, on devient l'étranger radical, par le vêtement et par le comportement...
Ce qui inquiète le plus, c'est que cette forme d'islam qu'adoptent ces jeunes fait entièrement l'impasse sur tout un pan de la pensée islamique, son côté rationaliste, questionneur et innovateur. Parce que leur foi provient davantage d'un sentiment de frustration que de conviction, ils s'en tiennent à l'observance rigoureuse de ce qu'ils croient être l'islam véritable, aux dépens d'une véritable réflexion sur la foi […]. Leur foi n'est qu'une "orthopraxie" qui ne se pose aucune question et n'en tolère aucune. » (pp. 102-103)
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