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[Petit traité à l'usage de ceux qui veulent toujours avo...]
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Posté: Mer 02 Mai 2018 19:48
MessageSujet du message: [Petit traité à l'usage de ceux qui veulent toujours avo...]
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[Petit traité à l'usage de ceux qui veulent toujours avoir raison | Georges Picard]

Absolument parlant, ce Petit traité est un vadémécum post-moderne d’art rhétorique, voire de sophisme ; post-moderne en ceci, que l’ampleur de notre relativisme de bon aloi peut atteindre ou outrepasser le seuil du scepticisme quant à l’existence même du vrai. D’autre part, une position vaguement contradictoire l’anime, au fil des courts chapitres qui seraient presque des entrées d’encyclopédie s’ils étaient rédigés en ordre alphabétique, au sujet de la question de savoir si les opinions défendues par chacun sont modifiables par la discussion, si tant est qu’elles sont tenues pour vraies. Ce qui ne fait pas de doute, pourtant, c’est qu’un gagnant et un perdant sourdent de toute joute ; les questions du nombre de participants, de l’arbitrage, des circonstances, de la gravité du sujet ainsi que du contexte étant essentielles mais non déterminantes. Tout ce qui est déterminant, au contraire, est contenu dans les analyses-prescriptions que les soixante-trois chapitres adressent au duelliste, qui, comme tout un chacun, est légitimé à s’estimer détenteur perpétuel de la raison, et à apprendre l’art et la technique d’en persuader autrui.
Le ton léger et primesautier qui caractérise la prose de Georges Picard, et naturellement le titre du volume, m’avaient incité à ranger celui-ci dans la catégorie « humour ». Je m’en suis vite repenti, considérant la profondeur des contenus traités. L’auteur eût pu se laisser tenter par la dérision ou par le cynisme, le second étant peut-être une forme de la première. La lecture des intitulés des chapitres le laisse supposer. Mais ce n’est que goût de l’aphorisme (cf. : « Un bon mot vaut mieux qu’un mauvais discours » !) et maniement habile des paradoxes. Le relativisme qui est le nôtre se garde bien de revêtir un quelconque caractère moralisateur, pas même sous la forme de la condamnation de la société du spectacle : peut-être déplore-t-il juste son conformisme. Les analyses du statut de la vérité dans notre temps ne font pas l’objet de l’essai, pas plus que les exemples tirés de l’actualité (il n’y en a, me semble-t-il, qu’un seul, célèbre et daté d’ailleurs : celui du dernier débat télévisé entre les candidats Mitterrand et Chirac avant l’élection présidentielle de 1988).
Je relève enfin l’excipit de l’ouvrage, qui traite du « conflit larvé entre auteurs et lecteurs » et qui « est aussi classique que celui qui oppose automobilistes et piétons » ; il nous concerne tout particulièrement ici :
« C’est équitable. La vanité qui pousse à publier se voit rabrouer par la vanité critique qui pousse à juger ce qui a été lu, et à juger afin de se donner l’illusion de la supériorité sur un individu assez présomptueux pour prétendre nous occuper deux ou trois heures durant. »
… le calcul des heures est sans doute une ultime petite tentative de victoire de l’auteur sur le lecteur : ça s’appelle de la fausse modestie !


Cit. :

« On prétend que le pouvoir corrompt ceux qui l’approchent : en réalité, il ne fait qu’ouvrir les vannes de la compulsion morale à tendance sadique que chacun cultive, plus ou moins inconsciemment, en soi. » (pp. 19-20)

« Autant que possible, il faut éviter de fixer un adversaire droit dans les yeux. On ne se rend pas compte de la capacité déstabilisante d’un regard […] Soudain, la mauvaise foi partagée, sur laquelle repose l’échange, se fait visible et encombrante. […] Ce qui est caché, c’est le combat des amours-propres ; ce qui est montré, c’est un face à face chevaleresque dont l’enjeu est censé dépasser les vanités individuelles et se situer sur le plan de l’idéal. Chacun, à la fois, le sait et ne le sait pas. » (p. 75)

« La plupart des idées sont des opinions. Celles qui revêtent un caractère scientifique n’échappent pas à la relativité de la doxa. Il est toujours intéressant de savoir pourquoi l’on défend telle idée plutôt que telle autre, quelle compatibilité cachée entre un esprit et une doctrine pousse le premier à se dévouer pour imposer la vérité de la seconde. Inversement, le rejet d’une théorie relève, au moins en partie, de raisons clandestines personnelles. » (p. 109)

« Du reste, le marteau est à double bascule : plus on enfonce les mêmes idées dans la tête des autres, plus on les fixe en soi-même. Parfois, je rêve d’un clone qui ferait ma propagande, tandis que je batifolerais dans une prairie d’idées virginales et étranges, que je ne reconnaîtrais pas. » (p. 149)

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