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[Sapiens : Une brève histoire de l'humanité | Yuval Noah...]
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Posté: Mer 24 Jan 2018 12:09
MessageSujet du message: [Sapiens : Une brève histoire de l'humanité | Yuval Noah...]
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[Sapiens : Une brève histoire de l'humanité | Yuval Noah Harari]

La caractéristique principale de ce travail d'historien, c'est d'y avoir appliqué une grille évolutionniste. Non que l'auteur adopte l'évolutionnisme des généticiens, ou qu'il privilégie la biologie au culturel : bien au contraire. Mais sa thèse est que ce qui fait d'Homo sapiens ce qu'il est, ce que nous sommes, c'est sa capacité narrative, ou fabulatrice, à savoir son aptitude à inventer des jeux/mythes/systèmes collectifs et à y croire. Cette formidable faculté de parler de et à croire aux licornes (la nation, les droits humains, la marque Peugeot, l'euro...) – éléments de langage et fois fictionnels – découle sur un immense pouvoir d'organisation sociale qui provoque la domination de Sapiens sur une multitude d'autres espèces (y compris humaines disparues) conduites à l'extinction ou à la domestication, et une périodisation de l'Histoire tout entière en Révolutions : Révolution cognitive (ca. - 70.000 ans), Révolution agricole (ca. - 12.000 ans), Révolution scientifique (ca. - 500 ans), Révolution industrielle (ca. - 200 ans).
Dès lors, de ces fictions organisées et auxquelles l'on prête foi, de leur diffusion évolutionniste – en effet la notion de « mèmes » avancée pour la première fois par Richard Dawkins par analogie avec « gènes » et reprise avec peu de bonheur par Susan Blackmore – et surtout de leur conjugaison conjoncturelle surgissent ces Révolutions et avance l'Histoire, et non de choix délibérés – fût-ce ceux des puissants de tous temps – ; sont également exclus de l'évolution historique les critères de justice ni du plus grand bien-être collectif ou individuel. Les systèmes narratifs font leur chemin, se joignent et se renforcent mutuellement, provoquent les Révolutions, et l'Histoire n'a pas davantage de sens que n'en a la vie de chacun, ni n'y apporte plus de bonheur... La Révolution agricole est donc qualifié de « La plus grande escroquerie de l'Histoire » et les successives sans doute se valent-elles.
Quels mythes ? Ils sont évoqués dans la Troisième partie, intitulée « L'unification de l'humanité » qui suit la « Révolution agricole », mais à y regarder de près, il me semble qu'ils pourraient même, avec quelque reformulation, avoir précédé et provoqué cette dernière : le mythe du marché (spécifiquement l'invention de la monnaie), le mythe du pouvoir (strictement lié à l'accumulation de la nourriture), le mythe des religions ; on pourrait aussi ajouter le mythe du temps, mais Harari s'y attarde à peine.
Naturellement, la dialectique entre la conjugaison des mythes et le surgissement des Révolutions, la réduction de phénomènes aussi complexes à un nombre aussi limité de variables fortes constitue l'intérêt de cet essai : particulièrement la réduction de la Révolution scientifique à la combinaison entre « découverte de l'ignorance », « mariage de la science et de l'Empire » comme postulats de la mentalité de conquête de la part d'un petite pointe toute périphérique du continent Afro-Asiatique, et « credo capitaliste » (notamment l'invention des grands mythes du crédit et de la croissance). La partie du livre préalable sur les méfaits de la Révolution agricole est également passionnante pour sa mise au point méthodologique – synthèse avec l'évolutionnisme que j'ai mentionné plus haut.
Par contre les deux derniers chapitres, le 19 consacré au bonheur, et le 20, intitulé « La fin d'Homo sapiens », largement prospectif, et vaguement biologisant, explorant les possibles conséquences de l'intelligence artificielle et de l'introduction de la manipulation génétique, c-à-d. l'introduction du « dessein intelligent » comme principe de base de la vie, au lieu de l'évolution « naturelle », qui étaient sans doute déjà projetés dans l'ébauche de recherche qui a abouti à l'ouvrage suivant de Harari, le fameux Homo Deus, aussi largement traduit, lu et commenté que celui-ci, m'ont personnellement moins intéressé et laissé plus dubitatif. Après tout, il se peut que, surtout en matière de prospective, nous tombions plus facilement dans le narratif, exemplification des mythes fictifs auxquels l'on prête foi, que dans le travail de divulgation historiographique qui a quand même pour matière première et garde-fou le passé (les documents, les vestiges, l'archéologie, etc.)...


Cit. :

« La monnaie de l'évolution, ce n'est ni la faim ni la souffrance, mais les copies d'hélices d'ADN. […] Telle est l'essence de la Révolution agricole : la faculté de maintenir plus de gens en vie dans des conditions pires. […] Pourquoi un individu sain d'esprit abaisserait-il son niveau de vie à seule fin de multiplier le nombre de copies du génome de l'Homo sapiens ? Personne n'a accepté ce marché. La Révolution agricole fut un piège. » (p. 108)

« […] les tenants de l'égalité et des droits de l'homme […] rétorqueront sans doute : "Nous savons bien que les hommes ne sont pas égaux biologiquement ! Mais si nous croyons que nous sommes tous foncièrement égaux, cela nous permettra de créer une société stable et prospère." Je n'ai pas d'objection. C'est exactement ce que j'appelle "ordre imaginaire". […] Mais ne perdez pas de vue qu'Hammurabi aurait pu défendre son principe hiérarchique en usant de la même logique : "Je sais bien que les hommes libres, les hommes intermédiaires et les esclaves ne sont pas des espèces par nature différentes. Mais, si nous croyons qu'ils le sont, cela nous permettra de créer une société stable et prospère." » (p. 138)

« Qu'importe le nom qu'on lui donne – théorie des jeux, post-modernisme ou mémétique –, la dynamique de l'Histoire n'est pas vouée en renforcer le bien-être humain. On n'a aucune raison de penser que les cultures qui ont le mieux réussi dans l'Histoire soient nécessairement les meilleures pour Homo Sapiens. Comme l'évolution, l'Histoire méprise le bonheur des organismes individuels. Et les individus, quant à eux, sont habituellement bien trop ignorants et faibles pour infléchir le cours de l'Histoire à leur avantage. » (p. 287)

"L'histoire de l'éthique est la triste histoire de merveilleux idéaux que personne ne saurait atteindre. La plupart des chrétiens n'imitent pas le Christ, la plupart des bouddhistes sont incapables de suivre Bouddha, et la plupart des confucéens auraient provoqué une crise de rage chez Confucius.
A l'opposé, la plupart des gens, aujourd'hui, n'ont aucun mal à se hisser à la hauteur de l'idéal capitalistico-consumériste. La nouvelle éthique promet le paradis à condition que les riches restent cupides et passent leur temps à se faire du fric, et que les masses lâchent la bride à leurs envies et à leurs passions, et achètent de plus en plus. C'est la première religion de l'histoire dont les adeptes font vraiment ce qu'on leur demande de faire. Mais comment savons-nous que nous aurons vraiment le paradis en retour ? Nous l'avons vu à la télévision." (p. 409)

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