« Madame Bovary réécrite par Bela Bartok », c'est ainsi que Claude Roy résumait, dans un article de Libération, "Moderato Cantabile" lors de sa parution en 1958, avant d'ajouter qu'« il s'agissait avant tout, d'un roman de Marguerite Duras (qui ne ressemble finalement à personne) et de son meilleur livre ». J'aime bien la formule facétieuse de Claude Roy mais pour ma part, ce roman m'évoque davantage les tableaux d'Edward Hopper et tout particulièrement le tableau "Nighthawks", peint en 1942, où l'on voit, depuis la rue plongée dans l'obscurité de la nuit, l'intérieur illuminé d'un bar, où un homme et une femme sont accoudés au comptoir, regardant devant eux, silencieux, comme si les paroles qu'ils s'étaient échangées les ramenaient tous deux dans un autre temps ou dans un autre lieu, ailleurs.
La rencontre d'Anne Desbaresdes, la femme de directeur, et de Chauvin, l'ouvrier, dans ce café au bout de la ville où un homme a tué la veille sa maîtresse pour des raisons qu'ils vont tenter tous les deux de comprendre – et peut-être de partager –, tandis que le fils d'Anne joue seul à l'extérieur du café, cette rencontre me fait penser à l'atmosphère à la fois familière et inquiétante, et finalement tellement humaine de ce tableau de Hopper (et de bien d'autres tableaux de ce peintre). Les mots de Duras comme les silhouettes et les taches de couleur de Hopper savent si bien faire parler les silences.
Je ne saurais dire mieux que Dominique Aury, à propos de ce roman : «Modéré et chantant, peut-être, mais Moderato Cantabile est moins fait de musique et de mélodie que de lumière silencieuse, perçante et brusque comme la lumière des phares tournants; et comme la tranchante lumière laisse dans l’œil une trace de feu, Marguerite Duras laisse dans l'esprit une sourde traînée de phosphore, qui brûle. »
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