Madame Proust, née Jeanne Weil, est sans aucun doute la personne qui aura le plus compté dans la vie de Marcel Proust. Le livre que lui consacre Evelyne Bloch-Dano (également biographe de George Sand et de Mme Zola) est remarquable par les éclairages qu'il apporte sur la famille de Proust mais aussi sur l'enfance de l'écrivain, sa formation morale, artistique, intellectuelle à laquelle sa maman a amplement participé, et sur le milieu dans lequel évoluait cette famille, haute bourgeoisie côtoyant aussi bien l'aristocratie que les cercles politiques républicains (Zola, Faure, Crémieux, ...) ou les élites artistiques (les Bizet, Daudet, George Sand, Mallarmé ...), tout cela fournissant les modèles des personnages de la Recherche.
Evelyne Bloch-Dano s'emploie longuement au début de l'ouvrage (mais très utilement à mon avis) à nous décrire les familles des deux parents de Marcel. Celle de Jeanne est une famille juive originaire d'Alsace et au delà de l'Allemagne (j'ai appris ainsi que Proust et Karl Marx sont cousins au 5ème degré) qui a bénéficié du décret promulgué par la Révolution française en 1791 accordant aux juifs de France la citoyenneté française et qui a peu à peu gagné pignon sur rue, notamment dans la fabrication de la porcelaine. A la génération de Jeanne, les Weil sont devenus des bourgeois très aisés mais ils ne sont pas encore acceptés dans les salons les plus huppés de la monarchie de Juillet ou du IIIe empire.
Adrien Proust, le père de Marcel et de son frère cadet Robert, est lui issu d'une famille catholique très modeste, installée dans la petite ville d'Illiers qui deviendra "Combray" dans la Recherche. Brillant élève, boursier, Adrien devient médecin et professeur à la chaire d'hygiène à la faculté de médecine de Paris. Il devient vite une des sommités de son art, publie des ouvrages très réputés, est reçu par d'éminents personnages dans de nombreux pays.
Le mariage de Jeanne et d'Adrien, en associant la notoriété du Dr Proust et la fortune ainsi que l'art des relations mondaines que possède sa femme, éprise de littérature, de musique et de beaux-arts, propulsera le couple parmi la haute société de l'époque. Mais, pour autant, tout ne fut pas simple pour le couple, et en premier lieu la naissance de Marcel, juste après la "semaine sanglante" de la Commune de Paris (Marcel a bien failli ne pas venir au monde), puis l'enfance souffreteuse de Marcel et son hypersensibilité.
Outre l'intérêt sociologique évident, par l'éclairage qu'apporte le livre à certains passages de la Recherche (le salon des Verdurin, le personnage de la "cocotte" Odette de Crécy, ...), c'est avant tout ce qui concerne le rapport entre Jeanne et Marcel (duo auquel il faut aussi adjoindre le jeune frère Robert) qui rend le livre vraiment passionnant. Evelyne Bloch-Dano nous conduit patiemment à travers l'écheveau de fils qui s'est noué entre la mère et son fils, mêlant amour, maladie, soins, éducation, autorité, chantage, émancipation, sexualité, déviance, fidélité, excès, tempérance... Et tout cela se joue, se dénoue, se rejoue, s'amplifie à travers la correspondance qu'ils s'échangent quotidiennement dès qu'ils sont éloignés géographiquement l'un de l'autre. Car, en pensée, ils ne seront jamais séparés, si ce n'est par le sommeil, et l'on sait à quel point le moment du coucher est une torture, aussi bien pour Marcel que pour le narrateur de "Du côté de chez Swann". C'est donc sans étonnement que l'on apprend que la correspondance entre Mme de Sévigné et sa fille, la comtesse de Grignan est l'oeuvre littéraire de prédilection de Jeanne.
Mille autres choses sont à lire dans cet ouvrage d'une grande finesse, très agréable à lire et qui peut intéresser aussi bien les familiers de l’œuvre proustienne que ceux qui espèrent en découvrir un jour tous les charmes.
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