Auditeur attentif et parfois surpris de la chronique matinale « Moi président » d'Hervé Pauchon sur France Inter, où la parole a été donnée à des citoyens anonymes, j'ignorais qu'Olivier de Lagarde avait présenté sur France Info une émission homonyme, en recevant des personnalités de la société civile, intellectuels, auteurs et autres personnes engagées. Ce livre recueille 60 mesures (une pour chaque mois d'un quinquennat) défendues par autant de ces personnes, selon un ordre vaguement thématique et nullement conforme aux programmes des onze candidats réels, encore que certaines aient été énoncées par l'un ou par l'autre des politiques.
Certains noms d'auteurs figurent dans ma bibliothèque, d'autres m'étaient connus par ailleurs, mais je me suis efforcé de dissocier l'intérêt que je leur porte de celui de leurs propositions. Par ailleurs, en général, mes attentes ont été plutôt déçues : sans doute vivons-nous une période de profonde remise en question de la figure française de l'intellectuel – forgée de Zola à Sartre, mais certainement préexistante – intellectuel qui s'est parfois trompé en politique et a été ensuite déconsidéré pour ces erreurs spécifiques ; à l'évidence, le format radiophonique et typographique de cet ouvrage empêchait-il aussi une prise de parole complexe, et l'heure n'est plus aux slogans.
Cependant j'ai trouvé, dans la plupart des interventions, un grand technicisme, une formulation presque ministérielle d'un sujet extrêmement ponctuel, parfois dicté par le professionnalisme de l'intéressé(e), mais au détriment de la hauteur ou d'une vision d'ensemble. Par exemple, lorsque Catherine Clément, que j'aime tellement, ne trouve de mieux à proposer que la suppression des cabinets ministériels (p. 16-17). Certains pourront certainement apprécier le bien-fondé de la précision ou la pertinence d'une expertise professionnelle, mais moi non, en tout cas pas dans ce contexte.
Deux exceptions notables à cette étroitesse « mandarinique » : Edgar Morin, qui propose la création d'un « service civique de la solidarité » obligatoire (p. 46-47) et Hubert Reeves, l'astrophysicien, qui « prendrai[t] de toute urgence des mesures pour que l'humanité cesse de saccager sa planète » (p. 102-103).
D'autres propositions m'ont quand même séduit pour des raisons personnelles : celle de Michel Lejoyeux – professeur de psychiatrie et d'addictologie à Paris-VII – qui, nomen omen, prône une campagne publicitaire nationale pour la promotion de la bonne humeur (p. 54-55) ; celle de François de Closets qui reprend de la Grèce antique l'idée qu'une proportion de l'Assemblée Nationale soit composée de citoyens tirés au sort (p. 72-73) ; ainsi que la proposition conclusive du livre, signée Tobie Nathan, d'instituer des « onirocrites » (pas « onirocrates »!), c-à-d. des interprètes de rêves comme conseillers des Présidents, à l'instar de ce qui est conté, dans le cadre de l'administration ottomane, par le merveilleusissime roman d'Ismaël Kadaré, Le palais des rêves.
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