[Traduit en français sous le titre : Aux frontières de l'Europe]
« From Stettin in the Baltic to Trieste in the Adriatic, an iron curtain has descended across the continent. » dit Churchill le 5 mars 1946, en consacrant ainsi une expression – « le rideau de fer » – traduite et utilisée dans toute les langues depuis. En 2008, Trieste, la ville de Rumiz, n'est plus sur le « limes » : l'empire de Bruxelles – au sens géopolitique, s'entend – l'a déplacé de quelques centaines de kilomètres vers l'est, au détriment de l'empire de Moscou. Mais, à la veille de l'explosion de la guerre de Géorgie, et aujourd'hui avec l'annexion de la Crimée et des tensions ininterrompues entre l'est et l'ouest de l'Ukraine, cette frontière qui coupe le continent européen verticalement de nord à sud n'est certes pas aussi périmée qu'elle semble l'être.
Le journaliste-voyageur en mal de frontières décide de la parcourir dans toute sa longueur en transports en commun – trains et bus – des Terres hyperboréennes au nord de Rovaniemi (et Mourmansk du côté russe), jusqu'à Odessa, sur la Mer Noire, où il s'embarque à destination d'Istanbul, toujours accompagné de la photographe Monika qui assure l'interprétariat du russe, au cours d'un périple d'un mois.
Ses découvertes, et les nôtres, sont d'abord d'ordre cartographique : contrairement à nos représentations courantes, le nord du permafrost est beaucoup plus étendu qu'on le pense, de sorte que les pays baltes se situent environ à mi-parcours entre Mourmansk et Odessa ; le barycentre de l'Europe, quant à lui, ne se situe ni à Strasbourg ni à Genève (!), mais bien sur le Dniestr, juste à l'est des Carpates, comme l'avaient gravé sur le marbre les fonctionnaires du Kaiser-König...
Le parcours fait état d'une succession de coupures frontalières, certes, mais surtout, sur toute sa longueur, de migrations forcées de populations, jusqu'à des époques étonnamment proches – les années 1990 pour les derniers départs vers Israël – Shoah, déportations, punitions collectives et autres « nettoyages ethniques » qui ont laissé d'innombrables fantômes, juifs notamment, mais aussi allemands (en Pologne orientale), et slaves de différentes origines transplantés de force dans un dernier mouvement démographique d'est en ouest autour de et en relation avec la Seconde Guerre mondiale. Cette migration se poursuit d'ailleurs pour des raisons économiques, et elle crée de véritables cataclysmes démographiques et économiques dans des pays comme la Biélorussie et l'Ukraine, tandis que les tensions frontalières sont exacerbées par ex. entre la Russie et l'Estonie, et la Pologne, ou autour de l'enclave russe de Kaliningrad, l'ancien Königsberg de Kant. D'autres déséquilibres notables sont dus au dépeuplement des zones rurales et aux désastres écologiques : scarifications de l'industrie minière, de la surexploitation forestière – exportation de la mousse, l'aliment des rennes, qui sert à donner un aspect vieux et gothique aux tombes des riches Occidentaux ! – et même du tourisme – ex. licences de pêche au saumon sauvage.
La plume de Rumiz se nourrit toujours de ses rencontres ; son itinérance répond invariablement à l'équation : difficultés = narrations. Sa prose est fascinante, ses anecdotes toujours riches de sens et aptes à ouvrir l'esprit sur des considérations très vastes. On aurait envie de résumer tout savoir sur le monde à une succession de récits de personnages qui ont été les hôtes d'un jours, les compagnons d'un repas, les donateurs d'un grigri dérisoire. Pourtant, en comparant ce second récit de voyage avec celui des montagnes italiennes que j'ai lu récemment, je suis un peu moins enthousiaste : il m'a semblé qu'il manquait un peu de lenteur à ce périple, peut-être aussi à cause du handicap linguistique que la présence de Monika a peut-être comblé dans les dialogues, mais non dans une compréhension para-textuelle et contextuelle assez profonde des contrées traversées. Toutes les fois que Rumiz a regretté de devoir partir si tôt, et à d'autres moments où il ne fait pas l'aveu, j'ai eu envie de lui murmurer qu'il aurait dû trouver un prétexte pour prendre du retard !
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