Sous ce très beau titre en hendécasyllabe, le journaliste et écrivain-voyageur Paolo Rumiz, mitteleuropéen de Trieste, nous livre un périple de huit mille kilomètres tout au long des montagnes italiennes : des Alpes parcourues d'est (Istrie) en ouest (arrière-pays niçois), ainsi que des Apennins, de la Ligurie jusqu'au bout de la Calabre.
Peut-on concevoir une identité de l'Italie, pays aux si longues côtes maritimes, à travers ses reliefs uniquement ? C'est la gageure de la démarche. Et il s'avère que cette identité existe : c'est une identité de préservation et de résistance ; contre les plaines et vallées et leur productivisme et consumérisme, contre la bétonisation et les dégradations notamment hydrauliques qu'elle entraîne, contre les autoroutes, lignes ferroviaires à grande vitesse, centres commerciaux, et autres siphons du modèle économique dominant qui aspirent les ressources humaines et naturelles en désertifiant les montagnes, contre les politiques publiques qui mènent une guerre culturelle et économique, depuis les années 1950, visant à disqualifier, à saboter, à affamer l'agriculture et les élevages montagnards. Ces résistants, qui en vérité n'ont jamais cessé de l'être depuis les Ligures et les Samnites, jusqu'aux antifascistes, en passant par les fuyards protestants ou juifs de tous temps, ces brigands n'ont comme unique arme que leur obstination de montagnards, que la parcimonie de la vie la plus frugale qui soit, que la puissance de la mémoire de leurs contes, de leurs mythes, de leurs joutes poétiques ou des paroles de leurs chants, parfois inscrite jusque dans les toponymes et dans le génie des lieux qui renferment de nombreuses influences païennes. Ainsi les Apennins résonnent-ils encore partout des exploits d'Hannibal avec ses éléphants. Et bien sûr, en parlant de bêtes, l'on ne saurait négliger les sagas et les présences des ours et des loups.
Rumiz voyage en lenteur : souvent à vélo ou à pied dans les Alpes, à bord d'une Fiat Topolino de 1953 dans les Apennins. Il se sert comme viatique ou comme talisman d'une grande carte géographique littéralement recouverte d'une myriade de post-it contenant l'indication des lieux à voir et des personnes à y rencontrer : est-ce à dire que le voyage est parfaitement organisé, qu'aucune improvisation n'est admise ? Rien n'est moins sûr. Par contre, une fois déployé devant ses rencontres, ce parchemin de jeu de piste (partiellement reproduit dans les premières pages du livre) assure au voyageur un effet charmeur indéniable... Tout comme la voiture qui, elle aussi, est un instrument de captation de sympathie et de récits. Et voilà donc de quoi se compose l'ouvrage : plus que de paysages ou de descriptions, de réflexions ou d'états d'esprits du voyageur (qui peuvent parfois lasser pour peu qu'il soit immodeste, comme il arrive souvent chez d'autres...), il contient des traces narratives de la foultitude d'habitants anonymes ou célèbres que l'auteur a tout fait pour rencontrer, pour faire parler, pour écouter afin d'en distiller la mémoire, l'esprit, les ressentiments, les espoirs, les contes, les airs, les façons de parler (jusque dans les dialectes).
Une invite au voyage que ce livre, certes, mais aussi, à travers cet univers que ne représente ni n'est représenté par la télé berlusconisée, par le modèle économique et social qui ne l'est pas moins, un témoignage que l'utopie n'est peut-être pas un non-lieu, mais juste parfois un endroit qui se trouve derrière une côte un peu raide, au détour d'un chemin que n'indiquent plus les panneaux de signalisation routière ni les GPS, un lieu existant, au moins pour quelque temps encore...
Cit. :
« Mi appaiono chiaramente per quello che sono : la rincorsa in mare dei monti che poi circumnavigheranno la Padania per diventare infine la lunga gobba della balena Italia. Una tortuosa 'esse' rovesciata, che emerge qui, dalla periferia del Mediterraneo e si inabisserà nel suo centro, dopo tremila chilometri. Mi accorgo di aver visto tanto, su quella strada. Nevicate con le stelle, il lampo verde velluto che chiude i tramonti, abeti che risuonavano sotto l'archetto di un violoncello, branchi di cani randagi chiamare nel vento e l'urlo tremendo di una valle glaciale nel diluvio.
Ho udito il tuono delle mine scuotere i Giganti nelle fondamenta, in fondo a tunnel bui come cunicoli delle piramidi. Ho incontrato bracconieri, poeti-boscaioli, grandi vecchi, cantastorie, paesi fantasma e mummie dei ghiacciai. E poi ombre leggere di lupi in fuga, cinghiali devastatori di radure al chiaro di luna, leggende di fuochi fatui, ombre di condottieri e tenebrose dee madri annidate in eremi inaccessibili. » (p. 136)
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