Il me semble que Michel Onfray fait de la polémique son fonds de commerce ; cela me déplaît mais n'a pas été dirimant face à ma curiosité à l'égard de ces cinq portraits de femmes héroïnes de la Révolution française : Olympe de Gouges, l'auteure de la
Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, Manon Roland, républicaine bien avant Robespierre, qui, avec son mari, eut un rôle intellectuel et politique de premier plan aux côtés des Girondins, Charlotte Corday, dont on se souvient qu'elle assassina Marat mais non de ses motivations, Théroigne de Méricourt qui envisagea une sortie de la Terreur par un dispositif centré sur les femmes, Madame de Staël enfin, moins pour son action que dans la continuité de la réflexion de son père – le ministre des Finances Necker – en tant qu'auteure de l'ouvrage posthume,
Considérations sur la Révolution française.
La thèse de cet essai est que ces femmes furent toutes liées au parti des Girondins, éradiqué par Robespierre par calcul politique et dès lors présenté sous des traits caricaturaux par une historiographie demeurée jacobine jusqu'à nos jours. L'opposition entre Girondins et Jacobins, fil conducteur des cinq esquisses biographiques, permet donc à l'auteur d'imaginer un déroulement alternatif de la Révolution si celle-ci avait été féminine-girondine – « une révolution sans testostérone » : c'eût été une révolte plus conforme aux Lumières, abolitionniste de la peine de mort au lieu d'être sanguinaire au point d'être symbolisée par la guillotine, plus libertaire tout en étant égalitaire entre hommes et femmes (et émancipatrice des Juifs et des esclaves), plus fédérale et « autogérée » au lieu d'être centralisatrice et tyrannique, plus encline au dialogue entre les différentes sensibilités républicaines (et ouverte à la liberté de la presse) – d'abord sur la question du destin de Louis XVI – au lieu d'être sectaire et foncièrement autodestructrice, plus populaire (non censitaire) au lieu d'être bourgeoise, plus réaliste au lieu d'être idéologique, plus démocratique et légaliste au lieu d'être démagogique et féroce...
« Avec lui [le choix des femmes révolutionnaires], on évite de se faire dévorer par le Minotaure car l'on découvre que les femmes qui ont joué un rôle dans la Révolution française auront toutes fait partie du lignage qui croit que la Raison est antinomique avec le sang, que l'échafaud n'est pas un argument, ni la faux ni la pique, que la colère et le ressentiment sont mauvaises conseillères et que l'on peut, que l'on doit, préférer gouverner par l'intelligence plutôt que par la guillotine. » (p. 30)
Écrire ces biographies de femmes, y compris celle de Germaine de Staël, sous l'unique prisme de l'opposition entre Girondins et Jacobins comporte peut-être quelques distorsions, à l'évidence quelques répétitions – comme si, outre que de polémiquer contre les spécialistes universitaires de la Révolution et contre Élisabeth Roudinesco (comme toujours!), Onfray s'en prenait personnellement à Maximilien Robespierre ! –, mais surtout cela relève de ce que « 1789 a toujours été un enjeu pour le contemporain qui s'en empare » (p. 188).
L'auteur avance cette affirmation dans sa conclusion, « La gauche est morte. Vive la gauche ! » qui, tout en parcourant de manière extrêmement rapide les péripéties des deux gauches françaises (communiste et social-libérale) depuis 1960, émet un diagnostic particulièrement proche de notre actualité immédiate. Il positionne donc soi-même et son discours dans une opposition entre ces gauches « cadavres » vermoulus et « sa » gauche libertaire, comme étant l'héritage direct de l'opposition Jacobins-Girondins en passant par Proudhon. Pourquoi pas ? Mais je pense que c'est aussi et surtout ce 1789 féminin des Lumières, ce 1789 fantasmé qui constitue l'enjeu (imaginaire) dont le contemporain Onfray s'est emparé. J'aime bien cet objet imaginaire. Mais il faut savoir le reconnaître comme tel, et cela peut nuire grandement à un ouvrage qui se veut biographique (tout comme lui nuit l'absence d'un quelconque appareil critico-bibliographique savant...).
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