Les maux pour le dire.
Les derniers Indiens des Cévennes ou des contrées rurales reculées, noyés de solitude, tissent parfois entre eux des conversations dont les mots retentissent au-delà de leurs sens, jetés en écho dans des silences qui les redimensionnent et un passé qui les décompose. Gus et Abel, les taiseux des environs de Pont-de-Montvert, village situé au bord du Tarn, entre les massifs du Mont-Lozère et du Bougès, sont proches géographiquement et entretiennent des relations de bon voisinage en s’entraidant parfois dans les travaux agricoles, vidant quelques canons et dévidant ces fameux échanges pleins de non-dits et d’allusions qu’un étranger serait bien en peine de comprendre sans les codes adéquats. Alors qu’il s’embusque pour une chasse aux grives, Gus (de son patronyme Gustave Targot) entend un coup de feu partir de la plantation d’Abel. Il pressent que ce n’est pas une grive qui a été plombée mais hormis une tâche de sang suspecte sur la neige et l’absence d’Abel dans les parages, Gus n’est sûr de rien et sa peur augmente en conséquence. Il va essayer de dénouer le nœud qui l’enserre mais Abel est un finaud et devine aisément derrière les mots et les attitudes de quoi il retourne. Le jeu de cache-cache installé depuis des années entre les hommes peut perdurer. Les secrets de famille ont le temps de la mémoire pour eux.
Franck Bouysse est un auteur étonnant à plus d’un titre. Il n’est pas là où on l’imagine. Son roman est noir mais il n’appartient pas au genre policier et l’auteur n’est jamais aussi fort que lorsqu’il met en lumière les obscurités du passé des protagonistes. L’évocation de l’enfance de Gus est particulièrement percutante et réussie. Les rares incursions d’étrangers au lieu-dit Les Doges où se situe la ferme appartenant à Gus sont un régal pour le lecteur et un cauchemar pour le « pingouin » de la banque de crédit ou encore le « suceur de Bible » venant rabattre en campagne. En arpentant en toutes saisons les lieux dépeints par Franck Bouysse, qu’ils soient cévenols ou limougeauds, il est loisible d’y retrouver des ambiances connues mais les personnages pourraient aussi bien être Normands, Bretons ou Jurassien. Les laissés pour compte de la modernité n’ont peut-être les mots et les manières pour clamer leur existence mais ils n’en pensent pas moins.
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