C'est un livre étrange et difficile d'accès. Il commence par le récit d'une femme anglaise, Susan Barton, partie au Brésil à la recherche de sa fille que l'on a enlevée. Alors qu'elle quitte ce pays sans l'avoir trouvée, elle se retrouve sur une embarcation de fortune après que l'équipage de son bateau se soit mutiné. Elle parvient alors sur une île qui n'est autre que celle de Robinson (ici nommé "Cruso", sans "e") et de Vendredi. Cette première partie s’achèvera quand ils seront tous les trois recueillis par un navire au bout de 2 années de vie commune sur l'île. Seuls Susan et Vendredi arriveront en Angleterre, Cruso mourant au cours du voyage. Jusque là, nous étions en présence d'une nouvelle version du mythe de Robinson Crusoe, à l'instar de "Vendredi ou les limbes du Pacifique" de Michel Tournier. Mais "Foe" va alors basculer dans une autre dimension. Une fois à Londres, Susan en quête de ressources pour survivre, tombe sur l'écrivain Daniel Foe et lui demande de réécrire son récit et de le publier. Quelques pages plus loin, l'écrivain a disparu, Susan et Vendredi s'installent chez alors lui. D'autres épisodes vont s'enchainer avec une cohérence de plus en plus ténue. Le personnage de Vendredi, qui est muet car on lui a autrefois coupé la langue, prend au fil des pages de plus en plus d'importance, symbolisant les peuples à qui la parole n'a jamais été donnée. Finalement dans une troisième partie du livre, on retrouvera Foe et les métaphores du livre seront (un peu) explicitées, en particulier la question de savoir si c'est l'écrivain ou le personnage qui jouit de la plus grande liberté.
J'avoue avoir été souvent perdu au cours de cette lecture, et agacé d'être perdu. Je suis en général bon client des livres à double ou triple fond, et où le thème de l'écriture, de la possibilité du roman, constitue le fil rouge du livre. Ici Coetzee se soucie peu d'égarer son lecteur, comme ses personnages, ne cessant d'ouvrir des portes qui ne débouchent sur aucun passage. Dans les toutes dernières pages du livre, l'auteur Coetzee-Foe avoue son impuissance à raconter cette histoire : "Mais posez-vous la question, Susan : tout comme ce fut un stratagème de négrier de priver Vendredi de sa langue, cela ne peut-il être un stratagème de négrier de le tenir en sujétion pendant que nous ergotons sur des mots dans un débat qui est, nous le, savons, sans fin ?". Cette mauvaise conscience de l'écrivain-blanc-qui-ne-peut-faire-parler-vendredi est sans doute la vraie trame de ce roman qui ne veut pas s'écrire. Comme je ne peux être le seul bon auteur possible pour raconter cette histoire, alors je vous livre une non-histoire, un machin sans queue ni tête. Mais, dis-moi, Coetzee, qu'y peut ton lecteur ?
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