[Est-ce ainsi que les hommes vivent ? Faire face à la crise et résister | Claude Halmos]
[lecture facilitée par l'ami Le régent, que je remercie, et dont je renvoie à la très complète note de lecture.]
L'approche psychologique (avant même que psychanalytique) aux effets de la crise économique sur le psychisme de ses victimes, c'est d'abord la dénonciation des raisons et des effets du silence sur, voire du déni de l'existence de tels effets.
C'est ensuite de partir de l'axiome suivant : "la vie sociale ne relève pas pour un être humain de l'avoir, mais de l'être" (p. 39) ; sa privation par effet de la perte d'une activité professionnelle affecte donc l'être psychique du chômeur, notamment en termes de culpabilisation et de honte. Pour son entourage, pris de peur projective, elle se décline en rejet et en haine.
Les deux premières parties de l'ouvrage, pour moi les plus intéressantes, tracent, à partir de l'enfance et particulièrement de l'entrée à l'école, le parcours créateur des deux "branches de la colonne vertébrale psychique", la branche privée fondée sur l'affectif et la branche sociale fondée sur "le faire". L'image de soi, l'estime de soi, à travers l'école et ensuite par transposition identique dans le lieu de travail, sont redevables de cette logique du "faire" qui est mise à mal à la fois par une recherche d'emploi frustrante et éventuellement révisée à la baisse, par l'injonction "c'est ça ou rien !" et a fortiori par la "mise à mort sociale" que constitue le chômage.
Il est toujours important, dans cet ouvrage, de tenir compte à la fois des effets avérés de la crise - chômage, pauvreté, précarité, perte de logement, malnutrition - et des craintes de sombrer un jour dans une telle situation ; de la même manière, la psychologue tient compte autant de la représentation individuelle de tels événements et peurs que de l'évolution des représentations sociales desdits, qui hélas vont dans le sens d'une culpabilisation croissante des victimes, d'une désolidarisation avec elles, ces involutions comportant enfin des conséquences politiques dangereuses et de mauvaise foi.
La cinquième et dernière partie affronte de façon assez inattendue la question du "silence face à la crise". En effet s'opère un retour sur la sphère du privé "otage de la crise", en particulier au sein des familles et de la vie de couple, avec différentes facettes des non-dits, et enfin dans le silence public est analysé celui des politiques et celui des "psys" sur des tons aussi engagés dans les deux cas.
Le style de l'ouvrage est à la fois très discursif, d'accès aisé (phrases claires, plan lisible, typographie aérée), au ton qui évite autant que possible la polémique, qui privilégie des observations irréfutables avec parfois des données quantitatives à l'appui (surtout concernant la hausse de la pauvreté), et en même temps fort d'un engagement appuyé, en particulier dans sa démarche et dans ses conclusions.
Je vais imiter Le Régent, en concluant ma note sur une petite observation tout à fait marginale dans l'argumentation du livre, peut-être même relevant de la note de bas de page comme la sienne, motivée par ma propre réflexion plus que par la démonstration de l'auteure : ce qui relierait les deux branches de la colonne vertébrale psychique, ce serait ce questionnement très précoce de l'enfant sur les conséquences de son existence sur le bonheur du monde (d'abord celui de ses parents, s'ils l'ont désiré). Ce qui peut faire défaut aussi bien dans la branche privée que dans la branche sociale, notamment en cas de chômage, ce qui fait in fine s'écrouler l'édifice psychique individuel, c'est le basculement de la réponse à ce questionnement très archaïque. D'où la hausse vertigineuse des suicides en temps de crise.
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