Pensez à un dictionnaire d'expressions relatives au corps... et vous n'imaginerez toujours pas à quoi ressemble ce petit bijou de gai savoir ! Car la démarche en est ici inversée à plusieurs égards : là où un dictionnaire fournit la signification d'une locution et éventuellement tente de remonter à son origine, Jouet montre souvent que cette signification n'est pas univoque, qu'elle est le résultat de glissements sémantiques fondés soit sur l'accumulations des métaphores, soit sur des péripéties même seulement phonétiques qui occultent ou effacent tout sens.
A rechercher les sources de ces si nombreuses expressions corporelles, qui semblent s'être établies pour la plupart entre François Villon et Molière, avec une prodigalité exceptionnelle que nous devons à Rabelais (ce qui n'est pas étonnant), la sémantique se brouille, les hypothèses se multiplient, les effets d'écho et de superposition de sens s'accumulent, les régionalismes s'y mêlent, et parfois le charme de l'expression se mesure à son opacité. Ces citations anciennes, qu'on parvient à comprendre dans leur langue avec une intervention explicative minime, en augmentent l'attrait.
Pour ce qui est des expressions récentes, j'ai été surpris d'en retrouver si souvent la paternité chez Flaubert, Jules Renard et Marcel Aymé : ce ne sont vraiment pas les premiers noms qui me seraient venus à l'esprit.
Parfois Jacques Jouet, pris dans sa narration si peu didactique, aidé aussi par l'ordre aléatoire (en tout cas pas du tout alphabétique) des entrées dans lequel ses digressions le conduisent, se livre à la rédaction de véritables petites nouvelles de son cru. Mais les lexicographes anciens et modernes (d'Antoine Oudin à Alain Rey en passant par Pierre Larousse) ne sont jamais loin, et lorsque leurs explications s'avèrent fantaisistes, elles ne détonnent pas avec les nouvelles et les anecdotes de l'auteur ; de même que celles-ci ne manquent jamais de nous instruire.
Des exemples ? "Fier comme un pou (sur une tête chauve)" se comprend mieux comme "Fier comme un pouil (sur son fumier)", où "pouil" vient de "pullus", jeune coq, plutôt que de "pediculus", l'insecte. (p. 137) Qui n'est pas non plus le même que dans "chanter pouilles à quelqu'un", qui signifie "injures", comme dans : "Les gueux, les harengères, chantent pouilles aux honnestes gens. Les femmes qui se querellent se disent mille vilaines pouilles & ordures." (Antoine Oudin, cit. p. 201). Ou bien dans "Sourd comme un pot" (p. 196) : faut-il comprendre le trou dans le sol dans lequel le barbier confia le secret honteux du roi Midas (pot au sol comme au jeu de billes), ou bien le cul comme dans "se (faire) casser le pot" qui provoque la rougeur d'Albertine proustienne (p. 177), ou encore, par homophonie, "sourd comme l'impôt est sourd à celui qui se plaint de sa lourdeur" (p. 198) ?
Enfin, on ne saurait taire la beauté des illustrations du corps, tirées de planches de l'Encyclopédie de Diderot, qui, comme l'indique si opportunément la 4e de couverture, "proposent un autre regard sur le corps et son imaginaire".
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