Quand la complainte d’un mort-vivant franchit le cercle des mots et arrive in extremis dans l’esprit du lecteur, la vie des laissés pour compte perfuse malgré soi et leur déchéance devient la nôtre. Comme une ombre errant dans les faubourgs, Frank est à l’agonie. Il lui reste peu de temps face au sida, à la défonce. Il se remémore son passé durant les années 1970, la déferlante des drogues dures une décennie plus tard, les seringues infectées par les virus mortels (sida, hépatite). Frank n’a pas toujours été une loque humaine. Il a connu, l’amour, l’espérance, la camaraderie, l’adrénaline mais l’héroïne a su combler une faille en lui, peut-être un manque viscéral d’amour. Ensuite, le shoot est devenu une obsession entraînant son cortège de deals, vols, braquages, trahisons.
Le roman est intense, autobiographique à 80 % mais si l’auteur a pu sortir du cercle létal de la drogue, il a aussi probablement laissé derrière lui des amis moins chanceux. Si les longues réflexions et digressions macabres de Frank « Eckel » (surnom donné pour sa ressemblance avec les corbeaux Heckle et Jeckle du dessin animé éponyme) empèsent parfois un peu la narration, les dialogues, la description du quotidien d’un toxicomane en banlieue parisienne, la restitution des ambiances sont percutantes, troublantes et difficilement oubliables. C’est lorsque l’auteur élimine les dernières fioritures que son style agrippe et frappe de plein fouet. Roman noir corsé, sans intrigue policière, parfois drôle dans ses descriptions (Frank, le narrateur, est sans pitié) La Faux soyeuse (oublié le jeu de mots facile, le titre est une trouvaille inspirée) ouvre les yeux sur une misère absolue et une humanité sans avenir.
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