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[Identités, la bombe à retardement | Jean-Claude Kaufmann]
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apo



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Posté: Ven 21 Nov 2014 22:19
MessageSujet du message: [Identités, la bombe à retardement | Jean-Claude Kaufmann]
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Dans l'urgence de l'info sur les (probables) djihadistes français, Maxime Hauchard et Mickael Dos Santos, je me suis précipité à lire cette courte synthèse "à visée pédagogique", qui a sans doute été rédigée aussi dans (une autre) urgence.
Je connais et j'estime J-C. Kaufmann comme sociologue de la vie quotidienne, mais je n'ai pas lu ses deux ouvrages de sociologie de l'identité : L'invention de soi (2004) et Quand Je est un autre (2008).

Ce livre se compose de trois chapitres : le premier, une mise au point théorique sur l'identité, est certainement le plus dense et intéressant, le second et le troisième, de nature beaucoup plus pamphlétaire, s'attelant à la question des dangers d'une explosion conflictuelle de nature identitaire probablement imminente et de vaste envergure, en relation avec la "faillite du capitalisme financier" et l'augmentation effrayante des inégalités. J'aime beaucoup, d'emblée, cette mise en relation de l'identité avec l'économique. Même si elle ne m'a apporté que des réponses assez indirectes vis-à-vis de mon questionnement de départ.

L'identité est une notion floue et galvaudée par sur-usage. Cela est très dangereux, d'autant qu'il existe un précédent historique : c'est la notion d'intérêt au XVIIe s. : "ce flou jouait un rôle social fondateur. Il allait permettre de placer l'économie de marché au centre de la régulation sociale" (p. 10).
Trois erreurs sont commises en pensant à l'identité : "croire qu'elle renvoie à l'histoire, à notre mémoire, à nos racines", alors qu'elle relève essentiellement de la seconde modernité occidentale des 50 dernières années, liée à la subjectivation ; la confondre avec l'identification administrative (papiers d'identité), fondée, elle, sur des données et une classification objectives ; la croire fixe alors qu'elle est de plus en plus fluctuante, cette erreur renvoyant ainsi soit à une conception essentialiste, soit aux dérives intégristes (totales, holistes et omni-compréhensives).
La subjectivation moderne des sociétés individualistes possède des dimensions émancipatrices, mais "elle peut aussi s'avérer épuisante pour l'individu moderne, produisant des situations très discriminantes, de nouvelles inégalités. Les personnes dont la position sociale garantit une certaine reconnaissance, et qui sont inscrites dans des réseaux multiples et diversifiés, ont la possibilité de jouer de leurs différentes facettes identitaires. Celles au contraire qui se sentent davantage sur la défensive, menacées de stigmatisation ou plus simplement d'une perte d'estime de soi, sont guettées par le risque d'un repli [...] dans des totalités significatives qui leur fixent une identité, aussi indiscutable qu'une croyance religieuse." (p. 19)

Dans le ch. II, où l'accent est posé sur la crise économique provoquée par le surendettement global, il est question de l'antidote individualiste, intimiste, sécurisant et réconfortant que sont nos "passions". "Le mot passion, qui vient d'une lointaine mystique radicale, s'est étonnamment installé aujourd'hui dans le langage courant pour désigner [...] de simples pratiques de loisir. Nous sommes passionnés de musique classique ou de football, nous éprouvons une vraie passion pour nos rosiers ou notre chien" (p. 38). Mais ces passions étant aussi très inégalitaires, ceux qui en sont exclus transforment leur besoin de reconnaissance en "éclats passionnels" : "La rancoeur, la rage et la haine se libèrent et s'installent face à des 'eux' amalgamés et mal définis". (p. 39)

Dans le ch. III, "la montée des périls" est représentée par le racisme, le national-racisme, le rejet des étrangers et autres porteurs d'identité jugée autre, selon des critères vagues et fluctuants mais tournant autour de : "religion, race, nature, tradition, nation". Des exemples français récents sont rapidement convoqués : les "bonnets rouges" de l'automne 2013, la "quenelle" néo-nazie et autres "cadeaux" d'Alain Soral et Dieudonné, la "respectabilité" du FN, la généralisation de la stigmatisation des Roms, le "Printemps français" contre le mariage pour tous, le "Grand débat sur l'identité nationale" promu par Sarkozy, mais aussi des phénomènes analogues en Italie (contre la ministre Cécile Kyenge et autres violences inouïes), et en Russie notamment ; les tensions intra-européennes (entre pays du Nord et du Sud) sont également évoquées.

La sonnette d'alarme étant tirée dans des tons assez apocalyptiques, il reste à faire un plus long travail d'analyse de tous ces symptômes, au moins aussi précis que celui qui a été fourni dans le diagnostic.

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le_regent



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Posté: Sam 22 Nov 2014 23:24
MessageSujet du message:
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Bonsoir Apo

Moi aussi, je me pose des questions sur le rôle socio-politique de l' « identité ». A diverses reprises, j'ai acheté en brocante des livres consacrés à ce thème (mais jusqu'à présent je n'ai pas pris le temps de les lire ). Aujourd'hui encore, j'ai acheté la série de trois volumes de "L'identité de la France", de Fernand Braudel. Au retour, en lisant ta note, une idée m'est soudainement venue à l'esprit : et si le problème n'était pas tant la construction d'une identité (ou d'identités multiples), mais l'élaboration d' « altérités » qui nous préparent à traiter telle ou telle catégorie de nos congénères en ennemis ?
A ta connaissance, des auteurs ont-ils déjà abordé la question sous cet angle, ou n'est-ce de ma part qu'une pirouette intellectuelle ?

Cordialement
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Auteur    Message
apo



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Posté: Mar 25 Nov 2014 18:41
MessageSujet du message:
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Bonsoir Le régent,
Je suis parvenu à la même conclusion que toi, et le ch. III de ce petit livre va tout naturellement dans ce sens.
[Il n'empêche que la construction identitaire m'intéresse aussi et qu'elle me semble être éventuellement tout aussi problématique, bien que moins dangereuse collectivement.]
Ta formulation, et notamment le mot "altérité", m'a fait penser immédiatement aux travaux sur l'immigration et en particulier sur ce que l'on appelle "la réception du migrant". Par conséquent, la première référence qui me vient en tête, comme historien, c'est Gérard Noiriel. Tout est très intéressant chez lui.
Par ailleurs, et puisque tu en parles, je découvre sur Wikipédia que Noiriel a polémiqué avec Fernand Braudel (et sans doute justement au sujet du titre que tu évoques) sur "le silence historiographique sur l'immigration [...] considérée comme un phénomène extérieur à la France [...]".
Si d'autres références me reviennent, je te les écrirai en message privé.

Amitiés.
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