C'est avec surprise, étant passé complètement à côté de sa sortie en grand format, que j'ai appris la parution en poche de "Montée aux Enfers", dernier titre en date de l'écrivain américain Percival Everett, dont je déplore la traduction trop parcimonieuse de l'œuvre en français (sur ses 24 publications, seules 7 sont à ce jour parues en France).
Autre surprise : cette nouveauté est un polar, genre qu'à ma connaissance il n'avait encore jamais expérimenté. Mais le polar selon Everett, c'est surtout du... Everett ! Si les amateurs d'intrigues policières ne trouveront pas forcément leur compte avec ce roman atypique, les inconditionnels de l'auteur y reconnaîtront et apprécieront sa capacité à mêler cynisme et burlesque, et à déstabiliser ses héros face à la malfaisance du monde.
Le héros, en l'occurrence, est ici Ogden Walker, shérif adjoint de La Plata, bourgade paumée du Nouveau-Mexique, où il ne se passe en général pas grand-chose. Ogden est a priori l'archétype du "brave homme" : serviable et toujours aimable, ce célibataire est proche de sa mère, une femme dynamique, généreuse, et noire. Elle est également la veuve d'un blanc raciste, qui a laissé comme héritage à Ogden une passion pour la pêche à la truite, et une tendance à l'auto dévaluation alimentée par l'idée que son père n'aurait sans doute pas apprécié que son fils fasse carrière dans la police...
Le synopsis de "Montée aux Enfers" débute bel et bien comme un polar, et arbore certains éléments du genre, que l'auteur exploite de manière parfois volontairement caricaturale : brutes épaisses et femmes manipulatrices, duo d'agents du FBI laconiques et condescendants trouvent ainsi naturellement leur place dans un jeu où l'auteur s'amuse à intervertir les rôles.
Le meurtre de Mme Bickers, une vieille dame peu appréciée de ses voisins, et l'enquête qui s'ensuit, donnent le ton de l'intrigue à venir. A partir de faits crédibles et tragiques, Percival Everett perd le lecteur dans des développements qui semblent n'avoir ni queue ni tête, interrompt brutalement le cours de l'enquête pour passer à une autre, avec laquelle il n'existe aucun lien, hormis sa prise en charge par le personnage principal. D'emblée, certains dialogues nous donnent quelques indices sur le caractère quasi surréaliste qui va s'emparer à certains moments du récit.
Ogden s'enfonce peu à peu dans une forme de dépression suscitée par la prise de conscience de l'omniprésence de la violence, du malheur et du mensonge, son personnage acquérant au fil du récit une dimension de plus en plus complexe, et de plus en plus insaisissable. "Montée aux Enfers" est ainsi fait d'un curieux mélange : les codes du roman noir y servent de toile de fond à la chute d'un héros empêtré dans ses contradictions et trahi par un comportement de plus en plus invraisemblable, le tout teinté d'une étrange atmosphère, à la fois surnaturelle et angoissante.
En tant qu'adepte de l'auteur de l'immense "Effacement", j'y ai personnellement trouvé mon compte, et recommande ce curieux polar à tous ceux qui apprécient de sortir des sentiers battus !
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