Comme quoi les gentils ne sont pas toujours des gentils quarante ans plus tard.
Simon Epstein s'est penché sur le cas des intellectuels qui ont pris la défense du capitaine Dreyfus dans les années charnières de la fin 19e ,à la suite de Peguy et Zola notamment, et qui se sont retrouvés aux antipodes de leurs convictions premières quelques quarante années plus tard lorsqu'il a fallu prendre parti pour la collaboration ou pour la résistance . Rien n'est plus volatile que les convictions. Un Félicien Chalaye, un Gustave Hervé, un Urbain Gohier, dreyfusards de la première heure se sont retrouvés dans les affres de la collaboration ayant métamorphosé leur pacifisme en antisémitisme puisque dans leur logique propre les juifs ne pouvaient être que les fauteurs de guerre et Hitler le "deus ex machina" de la future Europe (de paix bien évidemment...). Récusant la thèse bien pratique et communément admise des "deux France" ,Epstein montre bien que " c'était plus compliqué que cela". Au rebours de beaucoup d'historiens qui veulent absolument voir à l'oeuvre depuis la Révolution de 1789 la confrontation des héritiers des Lumières et des réactionnaires de tout poil dans la marche de l'Histoire de France, l'auteur dynamite la doxa et recompose une histoire beaucoup plus aléatoire ,faisant fi de la toute puissance de la liberté de choix dictée par les grands principes républicains. Car s'il faut prendre comme emblématique de la France du Progrès et de la Modernité les "Dreyfusards" (systématiquement classés à gauche,laïcs,progressistes, humanistes...) que prendre alors pour incarner la "réaction" ? le "Mal" ? Il est facile de mettre dans cette catégorie les catholiques, les maurassiens, les fascistes, bref les Réactionnaires ! En quelques pages Epstein met à bas ce dualisme si confortable. Lorsque Pétain en 1940 demande les pleins pouvoirs c'est une chambre élue en 1936 qui les lui accorde. Dans le premier cabinet Laval (ancien avocat d'extrême gauche et ancien dreyfusard...) les hommes de l'Action française furent certes relativement nombreux mais dès le "coup d'état" de janvier 41 qui écarta Laval pour "germanophilie" trop évidente, beaucoup de maurassiens entrèrent en résistance ; le clivage de l'époque étant avant tout entre l'acceptation ou le rejet de la sujétion de son pays. D'où la conséquence logique de ces états de faits : il y eu des résistants antisémites comme il y eu des collaborateurs zélés dreyfusards de la première heure. A tout prendre le coeur de l'auteur ne semble pas trop balancer entre les girouettes pacifistes dont le philosémitisme du début du siècle se délita au contact des évènements des années 30 et les antisémites avérés qui se retrouvèrent dans le bon camp à la fin de la guerre. Car il y en eu. Georges Valois et le colonel de La Rocque par exemple (cas particulier car La Rocque n'était pas antisémite mais bien réac, antiparlementaire etc...).
Tout autre auteur que Simon Epstein se serait vu taxer d'antisémitisme et de révisionnisme mais qu'il soit juif étouffent dans l'oeuf toutes les critiques relatives à ces dérives.
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