C'est quoi, être un homme ?
Être pourvu de gros muscles, d'une voix de basse, de larges épaules ?
Avoir la capacité de descendre sans sourciller un fût de bière, oser cogner le premier qui aura fait mine de vous manquer de respect ?
Est-ce refuser de se laisser diriger par une femme, et surtout pas la vôtre, quitte à le lui faire comprendre à coups de poings ?
Est-ce n'aimer que les personnes du sexe opposé, le foot et les bolides, la viande et les revues porno ?
Il a essayé, Eddy Bellegueule, de toutes ses forces, d'en être un, d'homme. Ou du moins, de se conformer à l'image que son éducation, son milieu, lui en avait donné.
Il a été le premier à lancer le "pédale" qui visait ce garçon avec lequel il se sentait secrètement des affinités. Il a porté des joggings Airness, mater des films de cul avec ceux qu'il faisait sembler de croire ses potes, il a même essayé le foot... mais il n'a pas supporté l'idée de l'épreuve des vestiaires, cette promiscuité virile et vantarde. Il a fréquenté des filles, pour rassurer son entourage sur sa "normalité", se rassurer lui-même, aussi.
Mais rien à faire, il a bien fallu se rendre à l'évidence : Eddy Bellegueule était différent. Maladroit, sensible, efféminé... Et cela n'a pas échappé aux "vrais garçons" vulgaires et costauds qui, chaque matin, l'attendaient dans un couloir du collège pour le tabasser, l'humilier.
Eddy a grandi dans un village de Picardie sinistré, où le chômage, l'alcoolisme, et la pauvreté marquent de leurs stigmates un quotidien morne et médiocre. Trônant souvent dans chacune des pièces de foyers dont les enfants ne mangent pas toujours à leur faim, la télévision est le nouveau dieu des familles, la référence à partir de laquelle se forgent les opinions sur le monde.
Ce village forme une société sclérosée, repliée sur elle-même, gangrenée par une misère intellectuelle qui pousse à la cruauté. La différence y fait peur, est stigmatisée, il est de bon ton de mépriser les pédés, de haïr les arabes -quand bien même on n'en a jamais rencontré-...
Edouard Louis est Eddy Bellegueule. C'est lui qui le dit.
Il ne juge pas, ne cherche pas à s'apitoyer sur lui-même. Il dépeint. Des faits. Les insultes et les brimades, l'initiation trop précoce à la sexualité, la maison délabrée, le père inactif et porté sur la bouteille... Il décrit l'enfant et l'adolescent qu'il était de manière objective, avec une maturité qui lui permet de prendre du recul, d'expliquer le cheminement qui lui a finalement permis de s'assumer tel qu'il est.
Il nous démontre, tout simplement, qu'il existe de multiples manières d'être un homme, et qu'il a réussi, envers et contre tout, à trouver la sienne. Et ce faisant, il nous livre un très beau roman, à la fois simple, fort et touchant.
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