[Voyage au coeur d'une France fasciste et catholique intégriste | Matthieu Maye,Rémy Langueux]
C'est le succès de la manif pour tous, sa captation par toute une frange des courants traditionalistes catholiques et le nouveau vocabulaire décomplexé dont usent les militants d'extrême droite qui a décidé les deux auteurs à écrire ce livre ; en fait un copier-collé livresque d'un documentaire qu'ils avaient tourné en 2008 en caméra cachée lors d'une infiltration d'un groupuscule extrémiste dans la région de Bordeaux. Ce groupuscule dont le nom, Dies Irae, est déjà un programme, fait partie de la nébuleuse catho traditionaliste qui gravite autour de la Fraternité Saint Pie X et de l'Institut du Bon Pasteur où officie l'emblématique abbé Laguérie.
A l'époque où a été tourné le film Benoit XVI était encore pape. L'on se souvient qu'il avait réintégré dans la communauté catholique quelques prêtres et évêques lefebvristes dont Monseigneur Williamson l'évêque anglais qui nie le génocide des juifs ou du moins le minimise grandement. Toute une frange traditionaliste de l'Eglise voyait enfin dans cette décision de Benoit XVI une ouverture décisive vers l'amendement du concile Vatican II, casus belli qui décida Monseigneur Lefebvre au schisme . Voilà pour situer le contexte dans lequel va se dérouler l'enquête des deux journalistes.
Rien de ce que nous apprend le livre ne nous est inconnu ; de nombreux ouvrages et documentaires ont déjà traité du sujet. En vrac : racisme assumé et revendiqué, détestation de l'Autre surtout s'il est juif ou arabe, haine des Lumières donc de la République, détestation des Protestants bien sûr, ces affreux schismatiques qui ont osé les premiers exercer leur libre arbitre.Tout cela asséné dans un langage de corps de garde.
Mathieu Maye, le journaliste qui a eu la joie de jouer la "taupe" nous révèle des dialogues absolument sidérants. Dans l'extrait ci-dessous ils sont quelques militants de Dies Irae à préparer un futur parcours du combattant dans un coin reculé de la campagne bordelaise.La conversation s'engage sur le remède au déclin de la France.
Moi (le journaliste Matthieu Maye) :" Faut que ça pète ? "
Garry (un militant de base instructeur dans l'armée) : "Oui faut que ça pète. Si on ne fait pas une guerre civile on ne remontera jamais la pente."
Moi :"Une guerre civile ? contre qui ? "
Garry :"Déjà on me vire tous les bougnoules, on me vire tous les gitans, on me vire tous les Roumains,les Ukrainiens, les Russes qui profitent du système français. Déjà on vire tout ça et après je peux te dire que ça va aller beaucoup mieux. Au même titre que Jeanne d'Arc il faut savoir lever les armes pour défendre son pays " (pauvre Jeanne....).
Et il continue : "Je ne souhaite qu'une chose c'est que ça pète. Il faut que ça soit général, que ça pète partout et pas qu'en France. Ensuite il nous faudra un bon pour remettre de l'ordre dans tout ce bordel....Staline, Staline, c'était un bon...."
Ces paroles ne sont pas sorties d'un cerveau de journaliste mythomane, elles sont la retranscription fidèle des dialogues du film.
Force est alors de constater que la vie dans un groupuscule fascistoïde tendance catho-intégriste n'est pas un long fleuve tranquille. Oubliez les Le Quesnoy du film de Chatillez au demeurant plutôt sympathiques dans leur volonté naïve d'appliquer l'Evangile dans leur vie quotidienne. A Dies Irae c'est l'adjudant Kronenbourg de Cabu , en moins drôle, entouré de "Mon beauf" et de quelques corbeaux ensoutanés qui mènent la danse.
Toutes les saillies racistes entendues dans le film et reproduites dans le livre ne sont exprimées qu'intra-muros. C'est une image bien plus policée qui est réservée aux médias. L'image d'une association, certes catho tradi, mais ouverte et dont les militants ne sont pas avares de coups de main bénévoles ; de gentils scouts quoi....
Mais le plus inquiétant est que Dies Irae est aussi un vivier d'enseignants pour des écoles catholiques hors contrats comme celle de Saint Projet, là ou Matthieu Maye a réussi à se faire embaucher . Cette école dans la mouvance de la Fraternité Saint Pie X emploie des enseignants qui n'ont d'enseignant que le nom ; aucun diplôme n'est exigé. Ce sont souvent les parents qui, bénévolement, font office de professeurs.
L'enseignement, théoriquement le même que dans les autres écoles, est orienté dans le sens adéquat, notamment dans des matières comme l'histoire qui se prête bien à la réécriture. Ainsi apprend-t-on à des ados que la Révolution française fût le commencement du déclin de la France, que Dreyfus était forcement coupable, et que Pétain sauva la France....
J'ai toujours cru que les militants nationalistes possédaient, à défaut d'autre chose, une culture historique étendue quoique l'on puisse penser de leurs idées et de leur désir de revisiter les faits. Là, une fois le livre refermé,j'ai goûté l'ironie de l'histoire en me souvenant des grands penseurs de la contre-révolution : Burke,De Maistre,Bonald....qui écrivaient dans un style châtié toute l'horreur que leur inspirait la Modernité en appelant de leurs voeux le retour du Roi et de Dieu. Même Alain de Benoist et les penseurs du GRECE doivent faire la fine bouche devant ces apprentis Pieds-nickelés tout juste bons à casser du juif et de l'arabe en chantant "Les Lansquenets" et en récitant des Ave Maria. Ah l'élite a bien raison de ne pas faire confiance au peuple......
----
[Recherchez la page de l'auteur de ce livre sur
Wikipedia]