L'auteure, dont on a beaucoup entendu parler ces derniers jours en relation avec son opposition à la loi de pénalisation de la prostitution (approuvée hier), est prostituée et secrétaire nationale du syndicat du travail sexuel. Dans cet ouvrage, elle s'en prend au féminisme "classique", (mal) représenté en particulier par Les Chiennes de garde, Ni putes ni soumises et Osez le féminisme, en ceci, que les trois s'opposent à la prostitution par des stéréotypes paternalistes, péremptoires et liberticides, victimisant et culpabilisant tour à tour les prostituées, leur niant en tout cas le droit à une parole légitime sur le sujet qu'elles sont pourtant les mieux à même de connaître - tout comme le débat politique en question. En cela, la démarche est intéressante.
Après un chapitre, argumentativement très léger et stylistiquement gauche, de critique de ces mouvements pourtant faciles à attaquer, deux chapitres sur la prostitution ("Prostitution et idées reçues" et "La pute, avenir de la femme ?") sont nettement meilleurs, avec quelques belles idées et envolées telles la question "Le sexe gratuit existe-t-il ?" (p. 62 et ss.) ou la notion de personne "privée" chez la prostituée - sans doute grâce à l'expérience personnelle. Mais s'ensuivent encore deux chapitres sur le féminisme et sa "putophobie", qui souffrent des mêmes défauts que le premier.
De plus, la défense de la thèse de la prostitution comme libre choix, qui mériterait un appui quantitatif tenant compte aussi des prostituées contraintes (jamais mentionnées) entraîne certains corollaires idylliques qui requièrent une argumentation beaucoup plus étoffée : l'idée que la prostitution serait pour les femmes un moyen d'émancipation, celle que les féministes anti-prostitution, en hypersexualisant l'identité féminine, seraient "complices du patriarcat", ou celle que les arguments des abolitionnistes seraient identiques à ceux des anti-IVG...
En conclusion, le fait que le féminisme puisse ne pas convaincre les femmes d'aujourd'hui de par sa faiblesse intellectuelle est plausible, la circonstance que les violences contre les femmes sont en train d'augmenter de pair avec le moralisme est indéniable, l'hypocrisie de la parole niée (surtout dans notre
Cité perverse (cf. D-R. Dufour)) est insupportable, mais Mlle Marteuil n'est pas une nouvelle Simone de Beauvoir, et même le potentiel transgressif de ce qu'elle nous livre, peut-être parce que ce n'est pas un témoignage justement, est incomparablement inférieur à celui de
La Vie sexuelle de Catherine M. [illet].
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