[Journal d'une combattante : Nouvelles du front de la mondialisation | Naomi Klein]
Sur la vague de l'actualité des contestations politiques en Turquie et au Brésil, qui m'ont beaucoup interpellé et même fortement affecté, j'ai essayé de trouver dans cet ouvrage les archétypes des manifestations post-modernes, dont la première fut l'opposition à la conférence de l'Organisation mondiale du commerce de Seattle en 1999. Je n'y suis pas véritablement parvenu. En effet le livre se compose d'articles publiés à l'occasion de ces "premières" manifestations ayant eu lieu entre 1999 et 2001 (Seattle, Washington, Prague, Toronto, Gênes, Mexico) et, bien qu'ils ne se limitent pas à en relater le déroulement, ils conservent en large mesure un caractère circonstanciel. Cela empêche grandement la prise de distance et la généralisation qui permettrait la mise en exergue des éléments, pourtant bien réels, qui sont encore ou d'autant plus en présence une décennie et demi après.
Cependant, la structure de l'ouvrage innerve une problématique très actuelle : à la rhétorique de l'ouverture et de la suppression des barrières (commerciales et financières), promotrice de démocratie, s'oppose la réalité de l'érection de clôtures d'enfermement de ladite démocratie - murs au sens propre, d'acier et de barbelé, empêchant à la majorité d'accéder aux ressources et à la prospérité, ou métaphoriques, l'exclusion sociale interdisant l'accès aux biens et services publics par ailleurs paupérisés ou privatisés. Face à "la démocratie emmurée", la dissidence ouvre "des fenêtres", bien qu'elle soit mise "en cage" par "l'exploitation de la terreur". Ainsi, passim mais surtout dans les pages sur la criminalisation de la dissidence ainsi que sur les formes et contenus hétéroclites des revendications et sur la contestation des partis politiques traditionnels (voire du concept même de la représentativité), l'on trouve effectivement ces éléments archétypaux et de forte actualité.
Autre bénéfice retiré en surplus de cette lecture : une série de réflexions sur la mondialisation et sa contestation - les traducteurs ont systématiquement utilisé le terme d' "antimondialisme", radicalement rejeté par l'auteure, peut-être avec un peu de retard sur l'emploi du terme "altermondialisme" (datant pourtant de 2002) créé justement de ce rejet -, dont voici en vrac quelques unes.
- "Comme Internet lui-même, les ONG et les "groupes d'affinités" constituent des réseaux capables de s'étendre à l'infini. [...] Nul n'est tenu de renoncer à sa spécificité pour entrer dans une structure plus vaste ; comme pour toutes les activités en ligne, on peut butiner à sa guise, prendre ce qu'on veut et, pour le reste, appuyer sur la touche "effacer". On dirait parfois un militantisme de "navigateur", reflet d'ailleurs de la culture paradoxale d'Internet, qui allie à un narcissisme exacerbé un ardent désir d'appartenance et de proximité." (p. 34).
- "S'il règne une grande confusion autour du mot "mondialisation", c'est entre autres parce que le modèle économique néolibéral fait du commerce l'infrastructure suprême de l'internationalisme, plutôt qu'un simple élément de celui-ci. Peu à peu, ce modèle récupère tout le reste - la culture, les droits de l'homme, l'environnement, la démocratie même - et le subordonne au seul commerce." (p. 81-82).
- "Avec la fin de la Guerre froide et la disparition subite de cette toile de fond idéologique, la consommation a été dépouillée de sa grande signification symbolique. Sans idéologie, le shopping n'était plus que... du shopping. En réaction, les grandes sociétés ont créé l'image de marque "mode de vie", tentative de stimuler la consommation en tant qu'activité politique ou philosophique par la vente d'idées-forces plutôt que de simples produits. Ainsi, des campagnes publicitaires ont lié les pulls Benetton à la lutte contre le racisme, les meubles Ikea à la démocratie et les ordinateurs à la révolution." (p. 161-162)
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