La sortie d'un nouvel opus de cet auteur, dont j'apprécie particulièrement l’œuvre, est a priori un motif de réjouissance. Mais c'est aussi un risque : celui d'une éventuelle déception. Parce qu'à chaque fois, j'attends énormément de ma lecture. Parce que je sais que Dennis Lehane est capable du meilleur, ce qu'il a prouvé avec des titres tels que "Un pays à l'aube", "Shutter Island" ou "Ténèbres, prenez-moi la main" (et cette liste n'est pas exhaustive).
Dire qu'il est aussi capable du pire serait faux. Jusqu'à maintenant, bien qu'il me soit arrivé d'être déçue par certains de ses romans (je pense notamment à "Sacré" ou "Moonlight Mile"), je n'en qualifierai cependant aucun de mauvais. Et je vous rassure tout de suite : "Ils vivent la nuit" ne l'est pas non plus.
Son synopsis m'a fait espérer un récit de l'ampleur d'Un pays à l'aube. La période pendant laquelle se déroule l'intrigue est sensiblement la même : nous sommes dans le Boston des années 20, plus précisément dans le milieu du grand banditisme. Joe Coughlin, le personnage principal, apparaissait d'ailleurs furtivement dans "Un pays à l'aube", puisqu'il est le frère cadet de Danny, cet agent de police qui, à la demande de son oncle, infiltrait les milieux syndicaux et anarchistes.
Joe a choisi, lui, d'être un hors-la-loi. C'est pour ainsi dire une vocation. Il aime le monde de la nuit, les montées d'adrénaline, et le fait de transgresser les règles d'un système qui ne lui convient pas.
Mais Joe est jeune, il a à peine vingt ans. Et l'état de béatitude dans lequel le plonge sa liaison avec Emma Gould, la sulfureuse maîtresse du caïd local, va provisoirement sonner le glas de son ascension dans le "milieu"... Ayant pris, pour l'amour de sa belle, trop de risques, il se retrouve en prison.
Il y fait la connaissance de Maso Pescatore, un parrain qui, malgré son incarcération, est l'un des pontes du crime organisé de Boston. Il prend Joe sous son aile, en échange de la précieuse collaboration qu'en tant que fils de policier, le jeune homme peut lui apporter.
"Ils vivent la nuit" s'ancre dans le contexte bien particulier de la prohibition, et du développement exponentiel des activités clandestines qui en découlent, notamment celle de la contrebande d'alcool, grâce à laquelle plus d'un a fait fortune.
Dennis Lehane fait de son héros un hors-la-loi peu ordinaire, puisqu'il se prévaut d'une sorte d'intégrité, et d'un sens de la justice guidé non pas par les lois, mais par sa capacité à la compassion. Il se persuade qu'il est possible de s'adonner à des activités illégales et lucratives, tout en faisant preuve de philanthropie. Une sorte de Robin des Bois, en somme...
Mais le prosaïsme de la réalité, avec ses guerres des gangs, et les dangers que son mode de vie fait courir à ses proches, va le rattraper et l'obliger parfois à revoir à la baisse ses aspirations "humanistes".
Ce qui m'a manqué, dans ce roman, c'est l'association entre souffle épique et noirceur désespérée qui donnait tant de force à "Un pays à l'aube". Certes, le récit est baigné d'une ambiance plutôt ténébreuse et violente, mais elle est contrebalancée par la chance relative dont bénéficie le héros, par sa propension à l'optimisme, et moi, je préfère les héros torturés... De plus, l'intrigue étant ici quasiment centrée autour d'un seul personnage, je trouve que cela empêche l'auteur de lui donner une perspective aussi vaste que celle dont bénéficiait le précédent opus.
"Ils vivent la nuit" est néanmoins un bon roman, efficace et agréable à lire, mais je considère pour ma part que Dennis Lehane peut faire bien mieux...
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