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[Le monde à l’endroit | Ron Rash]
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Franz



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Posté: Jeu 02 Mai 2013 17:33
MessageSujet du message: [Le monde à l’endroit | Ron Rash]
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Contre le mal qui ronge les vies depuis toujours, le bon docteur Candler a su innover en son temps dans les années 1850 avec l’usage des plantes médicinales mais la guerre de Sécession l’a rattrapé dans les Appalaches. Il a choisi le camp des tireurs, celui des Sudistes massacrant les habitants désarmés de Shelton Laurel. Des extraits lapidaires de son journal d’époque rythment les courts chapitres du dernier roman de Ron Rash publié dans nos contrées après Un pied au paradis et Serena. Bien que le pivot en soit le jeune Travis Shelton âgé de dix-sept ans, le roman oscille entre trois hommes qui se croisent, s’ignorent mais se connaissent, interagissant presque malgré eux sur leur propre destinée, en catimini ou avec perte et fracas. Il y a d’abord le père Shelton, ancré à sa terre, ne comptant que sur lui pour s’en sortir, cultivateur de tabac exigeant qui ne reconnaît rien de bon chez son fils Travis et finit par le rejeter comme un malpropre : « La merde, ça ne se déloge pas » dira-t-il plus tard dans une de ses rares envolées laconiques face à son fils révolté. Le deuxième homme auquel Travis va se frotter est le redoutable Carlton Toomey, opportuniste malin et sans scrupule, secondé par son maousse de fils, Hubert Toomey. Travis découvre son champ clandestin de marijuana et décide d’y prélever quelques pieds afin de les revendre à un dealer, Leonard Shuler, troisième figure masculine emblématique, partisan du laisser faire. Rien ne fonctionne comme prévu et le monde se met à l’envers. De ses revers, Travis va en tirer des leçons profitables mais les récompenses ne sont jamais celles attendues comme pourraient l’être la reconnaissance du père Shelton, l’autonomie, la liberté d’entreprendre, etc. A plusieurs reprises, Travis va se retrouver seul pour agir selon une droiture qui ne s’explique pas. Il pourrait profiter de Dena, la femme paumée parasitant le mobile home de Leonard. Elle s’offre à lui mais par respect, il décline son offre alors que le sexe le taraude d’autant plus que sa petite amie Lori se refusera à lui jusqu’au mariage. Leonard a senti l’intelligence de Travis sous sa crânerie et son ignorance. Il décide de l’aider à préparer un examen d’évaluation de connaissances qui lui permettrait de reprendre une scolarité salutaire. Leonard est un professeur déchu qu’une machination mesquine assortie d’une dénonciation minable ont contraint à démissionner. Leonard ne lutte pas mais il perd au passage l’estime de sa femme et la garde de sa fille Emily. Dealer par défaut, il amasse de l’argent afin de rejoindre sa fille aimée en Australie. Depuis longtemps, il s’intéresse au massacre de Shelton Laurel et amène Travis Shelton à s’y plonger à son tour. Les archives ne disent pas tout et la mémoire collective a occulté les tragiques événements de la guerre de Sécession. Au-delà des morts, Leonard et Travis ont partie liée.
Court roman d’une rare puissance, Le Monde à l’endroit parle simplement de choses essentielles, l’acuité d’être dans ce monde-là, sa perception et sa compréhension par les sens et la connaissance. Dès le départ, la tension entre les mots (savamment rendue par la traduction) montre des personnages à qui rien ne sera épargné. Il n’y aura pas de fin heureuse mais seulement ce que les hommes pourront en faire : « […] Leonard vit une goutte de pluie tendrement suspendue au bout d’une feuille. Il savait qu’il y avait une raison scientifique au fait qu’elle reste ronde, qu’elle pende ainsi à la feuille mais cela n’avait rien à voir avec le miracle de cette goutte-là sur cette feuille-là, l’autre miracle étant qu’il soit vivant dans ce monde pour la voir ». Qu’est-ce que la conscience ? Qu’est-ce qui fait la grandeur d’un homme ou son effroyable petitesse ? Un geste gratuit, un fil d’aplomb en soi et le courage de faire ce qui exige d’être réalisé ? Leonard est un héros en toute conscience, celle d’un perdant sublime. Son sacrifice assumé sera masqué sous un banal accident de la route. Le père Shelton est le type qui ne se mouille pas mais envoie les autres au casse-pipe, à commencer par son fils. Son manque de hauteur de vue et son mépris pour ce qui sort des ornières le rendent petit. Carlton Toomey est le plus trouble, masquant d’étonnantes capacités intellectuelles sous des airs d’ahuri patenté. Fin psychologue, brute sans état d’âme, il sait aussi divinement chanter les gospels et troubler les âmes les plus rudes. Enfin, la nature façonne les hommes, leur donne leurs repères. Les Appalaches transpirent avec ses rivières, ses bois et ses cultures de tabac que les personnages respirent sans relâche. Dans le chaos des vies sans repère, à un moment donné, « Les passages tortueux deviendront droits ». Le monde lui-même se remettra à l’endroit.

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