L’éditorial n’explique pas pourquoi la revue a changé de titre, « On a marché sur la bulle » devenant « Tonnerre de bulles ! ». La rédaction parle d’un « nouveau concept », d’une « nouvelle maquette » mais tout est rigoureusement identique aux précédents opus d’OAMB et il n’y avait pas lieu de s’en plaindre hormis des jeux de mots potaches d’une totale ineptie qui finissent comme des mantras par charmer. Qu’importe ces petites escarbilles dans l’œil du lecteur, les entretiens sont bien menés, instructifs et permettent de découvrir des auteurs talentueux. Visiblement, l’intervieweuse Arena Baud Mevorach est tombée sous le charme de Bernard Yslaire, auteur inspiré de Sambre : « un homme élancé dont l’allure fière rappelle celle de ses personnages… ». Le croquis d’illustration est dans l’allant du discours, dans le « han ! » du coup de rein. L’artiste belge n’est pas dénué de chichi et de blabla : « Dessiner, ce serait accoucher d’un trait qui se suffit à lui-même ». Yo, man ! Mariant les genres, il est au fait de la technologie puisqu’il travaille sur une application IPAD : « ce support permet de mêler vidéos, photos, dessins, articles… tous au service d’une même narration qui s’étendrait sur plusieurs niveaux ». A travers son discours techno-scientifique, Yslaire n’en est pas moins romantique, voire métaphysique car il pense « qu’une mission [lui] est imposée » et qu’il disposera des années suffisantes pour clore le cycle de Sambre. Dieu l’entende ! L’entretien se conclut par une prière : « Loin de l’être froid et distant, un peu hautain… je découvre quelqu’un… à qui l’immense talent n’a pas fait perdre une franchise dans le regard, une sincérité dans le rire, une humanité dans le cœur. Soyons fiers de côtoyer son œuvre. » Alléluia ! Hosanna ! Sambre Dieu !
La suite du fanzine n’est pas en reste avec la découverte de l’auteur Gordon Zola (Gorgonzola, le fromage du Piémont ?), romancier pasticheur, éditeur, reprenant les aventures de Saint-Tin et son ami Lou. Les éditions Moulinsart, garante de l’intégrité de l’œuvre d’Hergé et des royalties afférentes, ont attaqué le Léopard masqué, la maison d’édition du Zola injustement accusé de « plagiat, contrefaçon… et parasitisme ». Il faut dire que Gordon a le jeu de mot laid (mollet ?) fort lourd. Ainsi « Le trésor de Rackham le Rouge » devient « Le « 13 heures » réclame le rouge » ; « Vol 714 pour Sydney » se crashe en un « Vol des 714 porciney » ; « Le crabe aux pinces d’or » est « Le Crado pince fort », etc. Il y a de quoi être véner quand on s’est chargé de veiller sur le temple et la cassette mais pas de quoi interdire une telle œuvre pasticheuse nécessitant une sacrée constance dans l’absurde. La pataphysique n’est pas loin ainsi que le rire au second degré.
Enfin, trois pages sont consacrées à Fabrice Meddour, dessinateur, scénariste et enseignant, auteur assez confidentiel mais dont la collaboration avec Philippe Bonifay sur l’œuvre de Blanche neige, 70 planches, trois années de boulot, devrait prochainement faire parler de lui parmi les aficionados du 9e art.
Tête bêche comme à l’accoutumée, le fanzine propose un excellent entretien réalisé par Joëlle Bernard avec David Lloyd, dessinateur britannique du célèbre « V for Vendetta », œuvre emblématique de politique fiction en six volumes, scénarisée par Alan Moore, entre 1986 et 1990. Auteur modeste et lucide, éminemment sympathique, David Lloyd parle de ses influences picturales et de sa sensibilité aux lumières dans les tableaux à travers Turner, Rembrandt et Millet. Les dessinateurs anglais mentionnés, Geoff Campion, Steve Dowling, Giles, George Woodbridge, Jack Davis, Wally Wood, Alex Toth, John M. Burns, etc. sont aujourd’hui peut-être méconnus en France mais leurs talents sont remarquables voire exceptionnels à l’exemple de Josh Kirby, illustrateur talentueux des couvertures de Terry Pratchett, Ron Cobb et Basil Gogos pour leurs illustrations stupéfiantes du magazine « Famous Monsters of filmland » ou de l’immense Frank Frazzetta, peintre habité d’une puissance insondable. Plus étonnant, Lloyd cite Jack Kirby et Steve Ditko avec « son travail sur « Amazing Adult Fantasy » qui était la bande dessinée la plus constamment puissante, individualiste et chargée d’atmosphère… ». Hum ! Sont ensuite donnés pêle-mêle des écrivains et des cinéastes, Orson Welles côtoie Harryhausen (« Le 7e voyage de Simbad » avec ses monstres en carton-pâte ultra kitchs) ou Don Medford, Richard Matheson, Robert Bloch, etc. Pour un lecteur français, il y a beaucoup de possibilités de découvertes et d’enthousiasmes à partir des sources d’inspiration de David Lloyd. A l’aide d’un moteur de recherche sur Internet, de nombreuses reproductions s’affichent et donnent le la. La symphonie qui suit est l’œuvre de chacun. Le regard de l’auteur porté sur les goûts graphiques en France est intéressant car si nous aimons la « ligne claire » (qui est un concept pour définir le style d’Hergé), « très ordonnée et disciplinée », en Angleterre, le « style réaliste britannique » tend à rendre la vie telle qu’elle est, « brouillonne et dure et souvent sombre ». Enfin, le fanzine laisse la parole à un dessinateur bas-normand, Sébastien Corbet. Vingt dious, un gars d’che nous ! Il rend honneur à ceux dont les images l’ont « percuté », Loisel et Bilal. Le dessinateur de « La quête de l’oiseau du temps » se révèle un homme impliqué et ouvert aux autres. Corbet va bénéficier de l’écoute, des conseils et des recommandations de Loisel. Au regard de ses crayonnés, le lecteur peut avoir envie de s’intéresser aux albums du Normand, même bas. Son propos est mesuré comme celui d’un homme plus mûr qui a tâté d’autres métiers avant de s’atteler à ses planches de bédé.
Trois ex-libris accompagnent la revue. Celui de David Lloyd se détache naturellement du lot.
----
[Recherchez la page de l'auteur de ce livre sur
Wikipedia]
Afficher toutes les notes de lectures pour ce livre