L’escargot des haies arrive en deuxième saison dans la dernière livraison de l’« irrégulomadaire » La Hulotte (dont la parution est semestrielle) pour la plus grande satisfaction des fans qui suivent la série made in Boult-aux-Bois, village ardennais où se concocte le journal depuis 1972. A nouveau, le lecteur de la revue naturaliste s’étonne face à une nature sans cesse à découvrir. Le colimaçon n’est pas en reste de confidences à commencer par sa reproduction qui revêt un caractère exceptionnel de par son hermaphrodisme. Bien que produisant spermatozoïdes et ovules, l’escargot des haies ne s’autoféconde pas et cherche un/une partenaire pour procréer. La parade est lente et longue, l’accouplement de même. L’orifice génital est un « trou minuscule sur le côté de la tête ». L’escargot échange ses spermatozoïdes protégés dans un emballage résistant car le/la destinataire stocke les gamètes dans une bourse copulatrice où s’entassent déjà l’éjaculat d’anciens gastéropodes, fruit de plusieurs rencontres. Les « enzymes corrosifs » digèrent tout et obligent les spermatozoïdes à déguerpir au plus vite afin d’atteindre la spermathèque où ils seront en sécurité et à même de féconder enfin les ovules à disposition. Comble de l’ironie, les moins vifs seront éliminés. Il y est aussi question du dard d’amour, un petit os unique en son genre que possède chaque gastéropode qui, une fois enfoncé dans le pied du partenaire, répand des hormones capables de freiner le système anti spermatozoïde. Les difficultés pourraient s’arrêter là mais l’escargot fécondé doit encore creuser le sol sur trois centimètres de profondeur avec son pied mou. Ensuite chaque œuf est expulsé un à un « par le petit orifice sur le côté de la tête, juste derrière les tentacules ». Un quart d’heure voire une demi-heure est nécessaire entre chaque œuf déposé dans la petite chambre alvéolaire souterraine. Une fois recouverts, les œufs sont sensibles à la sécheresse. Les prédateurs sont aussi de la partie à l’image du luisant des caves, un escargot fouisseur qui n’hésitera pas à racler tous les œufs s’il tombe sur la nurserie. Sorti de son œuf, le mollusque doit se fortifier et ses besoins dévorants en calcium l’obligent parfois à râper ses très chairs frères à deux doigts de naître. Naître ou ne pas naître, telle n’est plus la question. La suite de l’existence n’est plus qu’une série d’esquives et d’astuces afin d’éviter la mort par la bouche du crapaud, le bec du merle, les dents de la musaraigne. La survie est de 3 % l’an. Pour les heureux élus, la croissance en spirale de la coquille permet d’être toujours à l’aise dans la maison portative. Au bout de trois ans, le colimaçon décide de stopper une croissance qui pourrait être continuelle et fabrique un bourrelet autour de l’ouverture de sa coquille. La bête à corne hiverne et peut « atteindre l’âge assez incroyable de huit ou neuf ans ».
Pierre Déom tient toujours le haut du pavé avec son grand œuvre perpétuellement remis sur l’établi. Chaque nouveau numéro de La Hulotte construit l’édifice indéracinable de feuille et d’herbe, de bois et de tourbe. Bien que les dessins laissent davantage la place au texte, l’humour est toujours bien présent et l’esprit du lecteur constamment éveillé, voire émerveillé. Le glanage est toujours riche, l’engrangement fécond. De la pierre à grive (l’oiseau saisit dans son bec un escargot et le cogne à coups répétés jusqu’à ce que la coquille éclate) aux escargots perforateurs (le gastéropode perce la roche avec l’acidité de son pied et avance, lui et ses successeurs, de 15 mm par siècle. Un tunnel de 15 cm équivaut à mille ans d’activité opiniâtre), on ne peut compter les oh ! et les ah ! de surprises, de plaisirs et parfois d’effroi avec la découverte des mangeurs de mollusques à l’exemple du carabe doré, du drile jaunâtre, du sombre ver-luisant ou lampyre (« A bas Lampyre ! » clame une cagouille estomaquée). Voir le travail de l’osmie, abeille solitaire, avec une coquille vide d’escargot, le maçonnage intérieur puis le camouflage, « l’osmie bicolore est capable de transporter à travers les airs des poutrelles incroyables faisant jusqu’à quinze fois sa longueur », elle recouvre la coquille d’un amas conique de brindilles afin de dissimuler sa ponte aux prédateurs, tout cela décille le regard et on peut comprendre qu’un naturaliste s’enthousiasme au cours de ses promenades bucoliques. Véritable journal de bord illustré à la plume, La Hulotte défie les modes du zapping, de l’électronique, du tape-à-l’œil pour s’imposer aussi longtemps que la nature demeurera.
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