[Strangers in Paradise. 1, Je rêve que tu m’aimes | Terry Moore]
Chassé-croisé amoureux vaudevillesque d’apparence, voire burlesque,
Strangers in Paradise agrippe dès la première case avec une représentation au théâtre du lycée et un dialogue clamé : « […] sans amour, nous ne sommes rien de plus que des étrangers au paradis ! ». Le titre et le ton sont donnés. Francine Peters y fait de la figuration mais l’apparition de sa grande amie Katina Choovanski (Katchoo) dans les coulisses lui fait perdre ses moyens et sa toge sur scène. Elle se retrouve mise à nu devant le public. Dix années ont passé. Katchoo et Francine sont colocataires. Francine couche avec Freddie Femur mais se refuse physiquement à lui depuis un an et ceci jusqu’au mariage. Frustré, il part en claquant la porte. Katchoo, dans la chambre voisine, a tout entendu. Elle vient consoler son amie. Imitant les jérémiades de Freddie, sur un ton théâtral, elle glisse ses remarques personnelles et infuse ses sentiments amoureux à sa raillerie : « Crois-moi, si cet imbécile n’avait qu’un peu de cœur, il te dirait que tu es la plus belle et la plus désirable femme du monde ! Que chaque nuit je rêve que tu m’aimes… ». Francine, bercée, se laisse consoler et Katchoo s’approche pour lui donner un baiser sur les lèvres mais Francine semble se réveiller brutalement et repousse Katchoo qui, déconfite, ramène sa déclaration à une plaisanterie.
Cette superbe entrée en matière joue sur les apparences, la vie en représentation et la difficulté d’être soi-même aux yeux des autres. Toute une intelligence narrative s’y déploie avec une mise en page extrêmement fluide, un dessin agréable et très lisible, des dialogues bien calibrés. Très vite surgit le troisième personnage principal de la série,, David Qin, irrésistiblement attiré par Katchoo. Ses attentions finissent par séduire l’explosive Katchoo. Francine déprime après son largage par Freddie. Un accident en voiture lui fait perdre la mémoire. Katchoo décide de venger son amie. Après avoir été menacé et mis à mal, Freddie la dénonce à la police. L’histoire enchaîne rapidement les scènes pour le plus grand plaisir du lecteur qui n’en perd pas une miette. Tour à tour amusé puis ému, on ne peut qu’être séduit par un tel comic book bien loin des super-héros américains. On y trouve encore, en double-page, un avion vu de derrière, au-dessus d’une mer de nuages et une litanie posée sur le vide abyssal : « Bien que je te perde, je rêve encore de toi ». En métissant habilement les histoires sentimentales à une intrigue policière, la série réussit le mariage du comique, du tragique en faisant sourdre l’émotion à travers d’étonnantes réflexions, des attitudes troublantes sur le fil du rasoir et l’évocation sans lourdeur, extirpé des clichés, de l’homosexualité, du viol ou du meurtre. Les éditions Kymera proposent, sous couverture cartonnée souple, en quinze volumes, après l’échec de deux précédents éditeurs français (Le Téméraire, Bulle Dog), l’intégralité du comic book américain en respectant la chronologie, dans un grand format qui facilite la lecture. La grande œuvre de Terry Moore commencée en 1993 a été terminée en 2007. Pour les heureux novices, il n'y a plus qu'à s'y plonger avec délice.
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