C'est Jean Malaurie le directeur de la collection "Terre humaine" qui incita Augustin Viseux à écrire le récit de sa vie. Ainsi ce document trouvera une place de choix parmi les autres titres de la collection, entre" Le Cheval d'orgueil" et" Gaston Lucas serrurier" par exemple.
J'avais lu "Germinal" et m'attendai bien sûr à retrouver tout ce qui fait l'environnement des mines du Nord : les gueules noires, les corons, les patrons esclavagistes et insensibles,les porions vendus au patronat, les syndicalistes au grand coeur et les femmes de mineurs dévouées jusqu'à l'abnégation. J'ai retrouvé beaucoup de tout cela mais la voix de Augustin Viseux sonne , non plus "vraie", mais plus dure et poignante car cette vie le lecteur sait qu'elle n'est pas passée par l'imagination d'un intellectuel progressiste de la fin du 19e siècle. Elle nous est donnée "brute de décoffrage". Aucune théorie naturaliste ne sous-tend le propos. C'est LA vie d'un Homme.Une vie unique.
Né avant la 1ere guerre mondiale d'une lignée de mineurs ,Augustin entre à la mine à 14 ans comme aide galibot. Il finira à sa retraite dans les années 70 comme ingénieur en chef des Charbonnages de France, et...silicosé à 100/100. Car le métier de mineur c'est un pari sur l'avenir. Tous savent qu'une fois la première descente au fond l'avenir est dit. Le père de l'auteur est décédé dans la cinquantaine. Et la mort n'est pas que lente ; il y a les éboulements, les explosions de grisou ...
Le lecteur est accablé par la suite de malheurs qui s'acharnent sur l'auteur . Tout au long du siècle ce n'est que perte d'un être cher (un de ses oncles mort dans un éboulement, sa mère morte dans un bombardement allié,deux de ses enfants décédés en bas âge...) combats quotidiens contre la pauvreté, "la vie chère" : thème que l'on retrouve dans "Germinal", combats aussi contre la bêtise, la routine,l'inconscience des hommes ; ouvriers ou ingénieurs, patrons, porions,responsables syndicaux bornés.... Toute une vie à se lever à 3 heures du matin pour être à la fosse dès 4 heures et descendre au fond. Là les descriptions de Viseux rejoignent celles de Zola : dans les années 1930 la France entière marchait au charbon et la modernité n'était pas vraiment à l'ordre du jour (lire à ce sujet la relation de stage,éloquente, que l'auteur fit dans ces années là en Sarre, pas encore allemande mais d'esprit germanique quand à l'éfficacité ! ).
Mais ce livre est aussi un témoignage poignant sur une époque disparue. Viseux est parti du bas de l'échelle pour arriver ingénieur principal. Juste le certificat d'étude et l'Ecole des cadres mineurs de Douai (en alternance avec de longues périodes "au fond" ). Aujourd'hui un tel cursus serait impossible (nobostant la fermeture des mines...). Ce livre c'est donc tout un pan de l'histoire industrielle et sociale de la France . Les luttes syndicales, les grêves , ne sont pas passées sous silence. L'auteur ne cache pas ses sympathies socialistes , mais l'accès à la maîtrise le placera entre le marteau des communistes et l'enclume du patronat lors des grandes grêves de 1948.Il ne cache pas également son engagement de chrétien lui qui vient d'une famille plutôt indifférente à la religion. L'on comprend à la lecture du livre tout ce que sa foi lui a donné pour surmonter les épreuves terribles qu'il dû subir.
Un livre fort dont le seul bémol serait un trop plein de termes technques, propres aux mineurs, mais dont le glossaire n'est que peu d'utilité pour en comprendre le sens.
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