"Comment gagner sa vie honnêtement" . Un récit des années d'adolescence de l'auteur (bien qu'il obscurcit le propos en nous entretenant beaucoup de "fiction" et en tenant devant le lecteur des discours sybillins que celui-çi pourra prendre pour du lard ou du cochon, au choix...). Années d'adolescence, années du premier âge d'homme, années 68. Jean Rouaud est de cette génération vouée aux gémonies , à notre époque de "winners" , par ceux-là mêmes qui ont su formidablement mettre à profit tout ce que cette ère permissive et contestataire à généré de liberté , de dérèglementation, de "décoïncement", d'hédonisme, tout ce bel héritage qu'ils savent si bien faire prospérer dans notre belle socièté hyper-mondialisée, hyper-connectée...Et cette génération c'est aussi la mienne; j'ai le même âge que Jean Rouaud, c'est vous dire que ses souvenirs d'un petit breton de la petite bourgeoisie de la "Loire inférieure" élevé dans le cocon catholique étouffant de ce milieu m'a parlé, m'a touché. Et pourtant que du banal dans les souvenirs de l'auteur : l'auto-stop (plus personne fait du stop de nos jours...), les conversations étudiantes au café du coin qui brassent Marx,le Che,Mao...,les descentes dans le "midi" pour rendre visite à des cousins vivant en communauté, la famille , caricature de famille de l'ouest catholique.
L'étudiant Rouaud n'a pourtant pas le "profil" du soixantehuitard barbu, chevelu, et ...sûr de lui dans son refus de la "société" aliénante. Manque de confiance en lui. Il semble toujours être en retrait. Il traverse ces années-là dans un état qui semble s'apparenter à l'hébétude. Il "joue" à être soixantehuitard (j'ai connu aussi...). Car déjà le taraude l'Ecriture, du moins le besoin d'écrire. Ne pas aliéner son talent dans cette "société de consommation" honnie. Tout mais pas la cravate et l'attaché-case ! Et voila comment l'auteur des Champs d'honneur se retrouve à la chaîne d'une usine d'engrais à Montoir de Bretagne ou à vendre des Encyclopédies médicales payables en vingt mensualités à de pauvres familles des banlieues de Saint-Nazaire. (Superbes passages que ceux relatant cette époque...).
Le style. Il faut parler du style. Superbe. Mais...corseté, un peu trop. Toujours tenu en laisse. Cela n'étonne pas trop quand Rouaud dans un préambule superbe (lui aussi) tresse des lauriers à Chateaubriand, à Chardin,à Thoreau et à Cassevetes le cinéaste américain. Disons qu'il a surtout retenu le vicomte , au moins pour le style....Il se paye d'ailleurs cette petite fantaisie de nous régaler (si, si, mais il faut la relire plusieurs fois ....) d'une phrase de deux pages pleines.
Ce livre m'a tout de suite fait penser à celui de Annie Ernaux : Les années. J'ai quand même une préférence pour cette dernière. Le livre de Annie Ernaux est livré brut. Celui de Jean Rouaud est moins...spontané.
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