Ce petit ouvrage paru en 1912 est un pur enchantement! De Précy est un précurseur de l'écologie qui parle avec sensibilité et poésie de la nature et du jardin. Chacune de ses phrases, chacun de ses mots fait mouche. A la ville tentaculaire, aux usines et aux fumées, à l'aliénation du travail mécanisé, il oppose le jardin sauvage, insoumis (de Précy n'aimait guère les jardins à la française) qui se développe comme bon lui semble . A ses yeux, le jardin (au sens large, le sien fait tout de même quatre hectares...) est un lieu de vie, le domaine des dieux, du "genius loci" des Romains, un refuge et un espace où l'homme peut retrouver la liberté et renouer avec le bonheur tout simple d'être au monde. En apéritif, ces quelques lignes tirées de la dernière page de ce livre magique, qui tient de l'œuvre poétique et du traité de résistance:
"Le jardin n'est jamais perdu. Aussi, étant trop vieux pour croire aux révolutions (...), je ne prône qu'une forme de rébellion: le jardinage. Faites des jardins! De vrais jardins, bien sûr, des lieux insoumis, hors normes. Moi qui ai toujours été allergique à la civilisation (...), j'ai fait fait un jardin sauvage. Faites un tracé sur la surface de la terre, qui se prête toujours volontiers aux rêves des hommes, plantez un jardin et soignez-le. (...) Œuvrez avec les poètes, les magiciens, les danseurs et tous les autres artisans de l'invisible pour rétablir le mystère du monde. De cette manière, vous ferez face aux forces contraires qui, aujourd'hui [càd en 1912], semblent plus puissantes que tout. (...) Vous n'aurez pas le désir absurde de changer le monde, vous ferez juste une petite place à la vie. La nature vous offre cette voie. Et, bien sûr, vous n'êtes pas seuls dans cette bataille (...). Les dieux sont de votre côté. Oui, ces dieux qu'on a voulu chasser, eux aussi exilés sur terre mais toujours infiniment plus sages que les mortels. Ils ne sont pas rancuniers. Ils attendent les hommes, en souriant de leurs égarements et de leurs espoirs, derrière le portail entrouvert du jardin."
J'ajoute ici la quatrième de couverture:
Première traduction française du précis sur l’art des jardins de Jorn de Précy, une des voix les plus énigmatiques et originales de l’Angleterre victorienne. A la fois traité fondateur, manifeste existentiel et réflexion sur le rapport de l’homme à la nature qui préfigure les théories contemporaines de l’“écologie profonde”, cet essai rappelle que jardiner est avant tout une façon d’être au monde. Mais il affirme également que le jardin est devenu un lieu de résistance, en rupture avec la société de masse dominée par l’économie. Qui est Jorn de Précy ? On sait peu de choses sur cet Islandais mystérieux et solitaire, né en 1837. Il aurait quitté très jeune son pays pour visiter l’Italie et la France, et plus précisément leurs célèbres jardins. Il se serait ensuite établi en Angleterre, pour façonner patiemment, durant près d’un demi-siècle, son célèbre “ jardin sauvage” de Greystone. En 1912, à la fin de sa vie, il rédige ce précis, qui est bien davantage une réflexion sur le rapport de l’homme à la nature et une biographie jardinière qu’un traité technique. Il y expose ses idées sur les jardins mais aussi ses observations sur les mutations sociales d’une époque où se manifestaient les prémisses de la modernité : la perte du spirituel, le matérialisme triomphant, l’urbanisation et la dégradation des paysages. Au fil d’un récit où le lecteur voit défiler les grands jardins de l’époque, des jardiniers et des philosophes amis de l’auteur, Précy laisse apparaître peu à peu sa vision du monde : comment renouer avec la nature, comment comprendre et respecter l’esprit d’un lieu, comment, pour citer Hölderlin, “habiter le monde en poète”. Chez Jorn de Précy, le jardin devient un espace propre à sauver l’homme des fléaux modernes, seul apte à le ressourcer et à lui faire prendre conscience du fait qu’il appartient à cette Nature qu’il prétend dominer. Tour à tour badin, mélancolique, ironique, féroce et touchant, ce texte frappe par sa stupéfiante actualité. Les idées de Jorn de Précy parlent de notre monde contemporain et semblent paradoxalement très en avance sur leur temps : la solitude de l’homme-masse, la prolifération des “non-lieux”, le nomadisme de l’individu moderne… En matière de jardins, Précy semble anticiper sur les pratiques “écologiques” d’aujourd’hui, de même que sa conception du wild garden préfigure des théories contemporaines comme le “jardin en mouvement” ou le “jardin planétaire” de Gilles Clément. Depuis sa sortie en 1912, ce court et brillant essai circule presque clandestinement en Angleterre. Aujourd’hui plus que jamais, il indique le chemin d’un nouveau rapport au monde dont le jardin serait le modèle politique, poétique et existentiel. Faut-il s’étonner que ce texte soit resté méconnu en France jusqu’à nos jours ? Sans doute. A moins que son “traducteur”, fin connaisseur de l’art des jardins anglais du xixe siècle, n’en soit le véritable auteur…
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