Et si l'Allemagne et le Japon avaient gagné la seconde guerre mondiale ?
Telle est l'hypothèse qui sert de point de départ à l'intrigue du "maître du Haut Château", roman de l'écrivain Philip K. Dick.
La ville de San Francisco, où se déroule la majeure partie du récit, en ce début des années soixante, fait partie des territoires sous domination japonaise, qui englobent la zone Pacifique, alors que l'Allemagne contrôle la quasi-totalité de l'Europe et de l'Afrique, ainsi que l'Est des États-Unis.
Le régime nazi, victorieux mais divisé, peut néanmoins donner libre cours à sa barbarie. Les camps de concentration continuent d'accueillir juifs et opposants politiques, les peuples d'Afrique sont exterminés. Ceci dit, les prouesses technologiques (notamment en matière de conquête spatiale) réalisées par les allemands font l'admiration du reste du monde.
Les Japonais, quant à eux, sont davantage tournés vers le passé et les traditions. Il se passionnent pour les témoignages matériels de l'histoire des populations occupées, se fient aux prophéties livrées par la consultation de l'Oracle, ouvrage chinois et ancestral, qu'ont également adopté de nombreux autochtones.
Nous suivons en alternance l'histoire de plusieurs personnages qui n'ont pas toujours de rapport les unes avec les autres.
L'auteur a une façon particulière de nous familiariser avec chacun d'eux en émaillant constamment la narration des réflexions qui les habitent, des analyses que leur inspirent le comportement d'autrui ou même leurs propres réactions face aux événements qu'ils vivent ou subissent. Le lecteur a ainsi le sentiment d'une immersion dans l'esprit des différentes protagonistes.
Ces digressions, à caractère parfois philosophiques, voire métaphysiques, nourrissent le récit, le complexifient, mais elles sont aussi à certains moments assez obscures pour le rendre confus.
Elles permettent également d'enrichir la psychologie des personnages, notamment ceux qui se trouvent du côté des vaincus, souvent agités de sentiments ambivalents vis-à-vis de l'occupant, partagés entre admiration, haine et complexe, acceptant les compromissions qu'exige la situation avec plus ou moins de bonne volonté. Les relations entre les individus sont également analysées avec finesse, notamment en ce qui concerne les incompréhensions liées aux différences culturelles et à la nature même de ces relations (dominant/dominé).
Vous l'aurez compris, il ne faut pas s'attendre à trouver dans "Le maître du Haut Château" des scènes d'action spectaculaires ou des super héros. Il n'y a même pas, d'ailleurs, de personnage principal : l'histoire de chacun pourrait presque faire l'objet d'un récit à part entière.
Philip K. Dick préfère nous lancer sur de multiples pistes de réflexions, en utilisant son monde "inversé" pour les étayer. Son uchronie est entre autres un prétexte à démontrer la relativité de notre perception du monde. En imaginant l'existence d'un livre clandestin, écrit par le mystérieux "maître du Haut Château", dont l'intrigue est basée sur l'hypothèse d'une victoire des Alliés, il construit une mise en abyme qui bouscule les repères du lecteur et de ses personnages. Quelle est la réalité du monde dans lequel nous vivons ? A quel point notre représentation de ce monde est-elle influencée par les informations que nous transmet notre environnement, et jusqu'à quel point sommes-nous capables d'analyser ces informations en toute objectivité ?
De plus, il remet en question la stabilité des valeurs qui régissent nos sociétés. En effet, dans l'univers dépeint par l'auteur, les exactions nazies ne suscitent pas vraiment de révolte ni même d'indignation. Par une sorte de processus d’adaptation de la part des nations vaincues, elles sont simplement considérées comme un corolaire de la mégalomanie allemande. Il pointe ainsi du doigt la trop grande facilité avec laquelle l'être humain ferme les yeux, par peur ou -pire- simplement par commodité, sur les injustices et la cruauté qui ne le touchent pas directement.
On peut finalement dire que le monde fictif élaboré par Philip K. Dick n'est pas si éloigné du nôtre...
A croire que toute société, à partir du moment où elle est peuplée d'hommes, doit pâtir de leur propension au mal et de leur résignation face à ce mal ?
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